Le Racing 92 a perdu la finale de la Coupe d’Europe face à Exeter 31 à 27. L’arbitrage de Nigel Owens a été une fois de plus très défavorable aux français et il a surtout donné lieu en fin de match à un véritable sketch. Et une fois de plus les commentateurs et les journalistes l’ont quasiment dissimulé, comme s’il fallait préserver l’illusion qu’au Rugby le résultat final ne doit rien à l’arbitrage. Le discours officiel semble être que les erreurs d’arbitrage et les commentaires sur les décisions arbitrales sont autant de vulgarités qui doivent rester le propre du football. Le rugby est supposé évoluer dans un autre monde.
Quelques mots sur le déroulement du match. Dès l’entame les franciliens ont commis plusieurs erreurs graves et quasiment offert aux anglais deux essais. Ils étaient ainsi menés 14 – 0 après un quart d’heure de jeu. Ils sont néanmoins revenus dans le match et ont presque rattrapé les anglais à 14 – 12. Puis ils ont commis de nouvelles erreurs, ont encaissé d’autres essais mais sont de nouveau revenus jusqu’à n’être plus menés que d’un point 28-27 à 10 minutes de la fin.
Ils jouaient alors à 15 contre 14 et ont passé plusieurs minutes dans les 22 mètres adverses. Ils ont alors fait des choix qui se sont révélés malheureux : ils ont tapé en touche une pénalité qu’ils auraient pu tenter, et n’ont jamais essayé de passer un drop pendant leur longue période de possession sous les poteaux anglais.
A deux minutes de la fin les anglais ont fini par récupérer le ballon, desserrer l’étau, et ils ont même passé une pénalité pour l’emporter finalement 31 – 27.
Les Racingmen peuvent clairement s’en prendre à eux-mêmes. Sans les cadeaux offerts à leurs adversaires ils avaient les moyens de remporter ce match.
Mais malgré ce constat simple, il faut souligner que, une fois de plus, l’arbitrage a été clairement défavorable à l’équipe française, avec en point d’orgue un incroyable imbroglio, facilement identifiable, que les commentateurs de France 2 puis la majeure partie de la presse sportive ont quasiment occulté.
Il faut savoir que les erreurs d’arbitrage au Rugby ne sont pas toujours faciles à identifier. S’agissant des mêlées ou des rucks en particulier, seuls de bons connaisseurs peuvent identifier avec certitude les actions pénalisables et donc les erreurs d’arbitrage. Le téléspectateur peu averti doit donc s’appuyer sur les commentateurs. Au micro de France 2 pour ce match, Matthieu Lartot et Dimitri Yachvili. Ancien demi de mêlée international, ce dernier est évidemment capable de comprendre toutes les situations litigieuses et de nous dire ce qu’il faut penser des décisions de l’arbitre.
Comme tous les anciens joueurs appelés à commenter les matchs, il est extrêmement mesuré dans ses critiques de l’arbitre. Au cours du match il nous signale toutefois de nombreuses situations dans le jeu au sol où les anglais ne sont pas pénalisés alors qu’ils pourraient l’être. Il signale aussi une introduction en mêlée qui n’est pas droite, qui n’a pas pu échapper aux arbitres, mais qui ne sera pourtant pas pénalisée.
Cette remarque est émise platement, Yachvili ne parle ni d’injustice ni de l’importance que cela peut avoir sur le déroulement du match.
Sur d’autres actions nous n’avons pas besoin de son expertise pour porter un jugement. Ainsi en première mi-temps les anglais ont effectué plusieurs plaquages sans les bras. Un « plaquage sans les bras » n’est en fait pas un plaquage. Ce geste consiste pour le défenseur à venir simplement tamponner l’attaquant qui porte le ballon, sans chercher à l’enserrer avec les bras pour le plaquer. Ce geste dangereux est maintenant interdit. Dimitri Yachvili s’est poliment étonné que l’arbitre ne sanctionne pas les anglais sur ces actions. A la mi-temps le capitaine français a attiré l’attention de Nigel Owens sur ce point et de manière presque miraculeuse on n’a relevé aucun plaquage sans les bras en deuxième mi-temps.
Autre situation nette : la cravate sur Imhoff. Juan Imhoff est un joueur argentin du Racing. Il a marqué un superbe essai en première mi-temps. Il est victime en deuxième mi-temps d’une « cravate », c’est-à-dire un plaquage au-dessus des épaules, geste interdit car dangereux. Nous revoyons l’action au ralenti, sous tous les angles, en même temps que l’arbitre. Le geste est net, violent, le bras vient percuter le visage de Imhoff, clairement un carton jaune s’impose, si ce n’est un rouge.
Mais l’arbitre va trouver des circonstances atténuantes au joueur anglais. On l’entend lui expliquer qu’il a de la chance car son bras a d’abord heurté l’épaule du joueur francilien avant de venir sur son visage. Le geste a donc été ralenti et ne mérite donc pas la sanction d’un carton jaune. Cet argument est assez étrange : le geste ne peut pas être réellement ralenti par un premier contact sur l’épaule, il est difficile de juger de l’impact sur les ralentis et enfin la définition du plaquage haut ne fait pas entrer de notion de vitesse du geste. On croirait entendre la plaidoirie maladroite du joueur ou de son avocat. Mais non, c’est bien l’arbitre qui s’exprime ici. Comme s’il voulait justifier son étonnante clémence.
Les commentateurs devraient au moins s’indigner. Ils ne le font pas. Ils se contentent de constater que l’arbitre est clément, mais ils n’évoquent toujours pas l’idée que ses écarts de jugements pourraient avoir une influence sur le résultat du match. Ce faisant ils participent tout simplement à une omerta. On ne leur demande pas de mettre en doute la bonne foi de l’arbitre, ni même finalement de le critiquer, mais juste de signaler que sa décision est étonnante, qu’il aurait pu juger autrement, et que cela aura une influence sur le déroulement du match.
Mais le pire se situe à la fin. Les anglais ont récupéré le ballon et l’arbitre siffle une pénalité en leur faveur dans le camp français. Le chronomètre affiche 79mn 04s. Il faut savoir qu’un match dure 80 minutes mais que le jeu peut continuer même si le temps est dépassé, tant que la balle est en jeu. Autrement dit, si les anglais tapent la pénalité, qu’elle passe ou non entre les poteaux, et que les français récupèrent le ballon avant les 80 minutes ils pourront jouer et donc avoir une chance de revenir au score.
Par conséquent les anglais ont tout intérêt à tergiverser, à hésiter longuement entre taper la pénalité ou non et à faire ainsi courir le chronomètre jusqu’à la victoire. Pour éviter cela Nigel Owens demande à interrompre le chronomètre. Une précision ici : en l’absence de public nous entendons parfaitement ce que dit l’arbitre. Les propos que je cite ici sont donc parfaitement audibles sur le Replay de France 2, malgré l’exécrable accent gallois de Nigel Owens. L’arbitre vidéo en charge du chronomètre n’obtempère qu’avec retard à l’injonction de l’arrêter et quand il le fait enfin celui-ci affiche 79 :37. Owens annonce alors qu’il faut retrancher 5 secondes et que le temps écoulé est donc de 79 :32 (le chronomètre est affiché dans le stade, visible par tous).
Les joueurs d’Exeter se décident alors à tenter la pénalité, le buteur prend le ballon et le pose pour la frappe. On entend alors Owens parler à son arbitre vidéo pour lui dire qu’il faut redémarrer le chronomètre, mais qu’il doit auparavant attendre 5 secondes pour rattraper le retard pris pour l’arrêter. Owens compte alors jusqu’à 5 et demande de faire repartir le chronomètre. Celui-ci ne repart pas. Owens échange alors avec son collègue, qui semble mal l’entendre ou mal le comprendre, pour lui répéter de faire repartir le chronomètre, et celui-ci repart enfin.
Le buteur anglais s’élance et passe la pénalité alors que le chronomètre affiche 79 :51.

Les français récupèrent le ballon, vont pour engager, mais Owens les arrête et leur demande d’attendre qu’il ait vérifié qu’il faut bien rejouer, et que le temps n’était pas écoulé.
On l’entend alors échanger de nouveau avec l’arbitre vidéo et lui demander si les 80 minutes étaient ou non écoulées quand le ballon est passé entre les poteaux. Visiblement son interlocuteur a du mal à comprendre Owens et ce dernier est obligé de lui répéter plusieurs fois sa question de manière précise. J’ai critiqué les décisions de Nigel Owens, je rends ici hommage à son calme. Malgré la pression des circonstances, malgré les difficultés de communication, il reste calme.
On ne sait pas ce que lui dit l’arbitre vidéo, mais on entend clairement Nigel Owens lui répondre dans un premier temps que donc le temps n’était pas écoulé (« It is not over then »), puis l’autre reprend la parole et Owens dit alors exactement le contraire (« The time is over ») c’est-à-dire que le temps était écoulé quand le ballon est passé entre les poteaux, et donc le match est terminé.
Il se tourne alors vers les joueurs et leur dit que le match est fini.
Fin du match, joie des uns, déception des autres.
Les commentateurs ont suivi ces derniers instants avec beaucoup d’attention, même s’ils n’ont pas eu en direct les mêmes facilités que moi avec le replay. Dimitri Yachvili répète à plusieurs reprises après le coup de pied « c’est pas fini, c’est pas fini ». Et par la suite Matthieu Lartot s’étonnera qu’on n’ait pas vu le ralenti qui aurait pu répondre à la question de Nigel Owens.
Effectivement nous ne l’avons pas vu en direct, mais le replay permet de constater qu’il restait 9 secondes à jouer, selon le chronomètre officiel, puisqu’il affichait 79 mn 51 s. Pour être parfaitement rigoureux il faut alors se demander si l’arbitre vidéo a mis ou non plus de 9 secondes avant d’obtempérer à l’injonction de faire repartir le chronomètre. A cette question je peux répondre oui sans aucune hésitation. On peut facilement mesurer le temps qui s’écoule entre la demande de Nigel Owens et le redémarrage du chronomètre, il s’écoule plus de 20 secondes. Donc la bonne foi nous oblige à dire que les 80 minutes étaient bien écoulées. Ou plutôt qu’une mesure exacte du temps écoulé aurait donné plus de 80 minutes. Les franciliens n’ont donc pas été lésés.
Mais il faut noter que ce n’est pas la question que pose Nigel Owens à son interlocuteur. Il lui demande si le temps était écoulé sans autre précision, donc on peut supposer qu’il veut faire référence au chronomètre officiel. Il lui demande de regarder le replay de l’action avec l’affichage du temps écoulé. L’autre ne répond pas à cette question, puisque l’affichage était de 79 :51 et que Owens comprend que les 80 minutes étaient écoulées.
Bref, nous avons là un imbroglio assez extraordinaire, et qui mériterait une analyse. Je le répète, en toute bonne foi il était légitime de déclarer le match fini. Mais ce malentendu entre les arbitres est tout de même un fait de match plus qu’intéressant.
Que les commentateurs, en direct, ne se soient pas livrés à ces réflexions, cela peut se comprendre. Priorité doit rester à la tristesse des vaincus et aux félicitations méritées pour les vainqueurs. Mais il est plus remarquable que le sujet ait été simplement occulté dans l’émission Tout le Sport, qui proposait deux heures plus tard sur France 3 le résumé du match. On y a montré les essais mais pas cette dernière pénalité, avec un chronomètre qui affichait 79 :51.
Plus grave encore : le journal L’Equipe du lendemain ne parle pas d’arbitrage. Pas un mot. Nous avons l’habitude que les biais en notre défaveur des arbitres britanniques soient passés sous silence, mais ne pas mentionner ce sketch de fin de match est réellement étonnant.
Clairement, les autorités du rugby, avec la complicité active de la presse, veulent imposer l’idée que le résultat d’un match de rugby n’est jamais influencé par les aléas de l’arbitrage. Même dans les situations les plus caricaturales, les critiques contre les arbitres ne sont émises qu’à mots couverts, de manière très discrète. Cela les conduit à nier cet incident pourtant unique, à l’effacer de l’histoire du match. Les commentateurs de France 2 comme les journalistes de L’Equipe se contentent d’évoquer les erreurs des joueurs du Racing et de rendre hommage aux vainqueurs, sans un mot pour cette scène grotesque.
Cette manière de réécrire l’histoire est pénible. Il est temps que cette omerta prenne fin si nous voulons que l’arbitrage progresse vers une plus grande objectivité.
Une bonne nouvelle pour conclure : il s’agissait du dernier match international de Nigel Owens.
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