Non, ce n’était pas la course de trop pour Bolt.

Usain Bolt n’a pas gagné la finale du 100m du Championnat du Monde. Pour la plupart des journalistes c’est un drame, ils se lamentent de ce résultat et la Une de l’Equipe proclame « Bolt, la finale de trop ». A notre avis il s’agit au contraire d’un événement incroyablement enrichissant.

Avant le départ Bolt a déjà gagné 3 fois le 100m aux Jeux Olympiques et 3 fois aux Championnats du Monde (et il a à peu près autant de victoires au 200m et au relais 4 x 100m). Depuis 10 ans il règne avec une outrageante facilité sur le sprint mondial et on se souvient tous de ses arrivées nonchalantes loin devant la meute de ses poursuivants affamés.

A l’arrivée il est battu par Justin Gatlin. Médaille d’or des Jeux Olympiques en 2004, Champion du monde en 2005, Gatlin a été suspendu 4 ans en 2006 pour dopage mais il est revenu à la compétition et a obtenu une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de 2012.

A son entrée sur le stade Gatlin a été hué et après son arrivée victorieuse il mettra son doigt sur sa bouche, comme pour faire taire le stade.

Gatlin chut

Puis il aura ce geste magnifique : il va se prosterner devant Usain Bolt.

Gatlin Bolt d

 

A-t-on déjà vu le vainqueur rendre un hommage aussi spectaculaire au vaincu ? Ce comportement plein d’humilité, de respect et de sportivité est exceptionnel. Il va pourtant échapper à l’effervescent Patrick Montel, qui commente pour France 2.

Notre sympathique commentateur est en effet consterné par la défaite d’Usain Bolt. Il la ressent, et nous la dépeint, comme un drame. Sa détresse l’aveugle et ce n’est qu’à la rediffusion de la course qu’il relèvera la scène magique de Gatlin un genou à terre devant Bolt.

Cette vision catastrophée de la défaite d’Usain Bolt est dictée à Patrick Montel par son émotion. Nous savons qu’en certaines circonstances il perd un peu le contrôle et en direct c’est bien excusable. Mais l’Equipe, dont les écrits ont pourtant le temps de la réflexion, dit la même chose. La page de Une affiche « Bolt, la finale de trop » (dans un étroit bandeau, l’arrivée de Neymar prenant le reste de la place comme depuis une semaine …) et en pages intérieures le titre d’un de ses articles affirme que « Usain Bolt (…) a conclu son immense carrière sur un échec. Dommage et évitable. »

Les journalistes ne veulent pas commenter la vraie vie, ils préfèrent écrire l’Histoire

De cet événement unique les journalistes font un échec, une course de trop, une sortie ratée. Ces obsédés des superlatifs n’acceptent pas que leur idole puisse ne plus être le meilleur. Il a déjà gagné trois titres de Champion du Monde, ils en veulent un quatrième, ils veulent des records, ils veulent que l’Histoire s’écrive sous leur plume ou devant leurs caméras.

J'ai rarement vu un geste d'une telle noblesse sur une piste d'athlétisme. C'est la défaite de Bolt qui l'a rendu possible.
On a rarement vu un geste d’une telle noblesse sur une piste d’athlétisme.
C’est la défaite de Bolt qui l’a rendu possible.

Mais le sport ce n’est pas cela. La vie ce n’est pas cela. Le sport, comme la vie, c’est l’incertitude, c’est le changement et ce n’est surtout pas un long fleuve tranquille.

La victoire de Bolt aurait encore allongé un palmarès déjà inégalable, nos amoureux des records se seraient régalés.

La victoire de Gatlin est plus compliquée. Elle donne à penser, elle suscite des réflexions : il a triché, il a été sanctionné et 12 ans après il redevient Champion du Monde. Faut il s’en réjouir ou s’en lamenter ? Autant de questions un peu difficiles, qui ont en outre l’inconvénient d’évoquer le dopage, fausse note désagréable dans l’univers féérique que l’on nous vend.

Et que dire quand Gatlin, hué par le public, donne à tous l’exemple de l’humilité avec cet hommage spontané à Bolt ? Faut-il critiquer le public ? Accepter qu’on puisse avoir fauté et se racheter ? Discours un peu trop délicats à tenir. Une victoire supplémentaire de Bolt aurait été tellement plus simple à commenter. Tout était déjà écrit : le bon a encore gagné et on le savait. Et la petite Jamaïque domine encore les Etats-Unis tout puissants.

Bolt n'a pas gagné. Mais il sourit et fait des heureux.
Bolt n’a pas gagné.
Mais il sourit et fait des heureux.

Ces amoureux de l’uniformité se doutaient pourtant bien que Bolt ne pourrait pas rester invincible pour l’éternité, même s’ils ne l’avaient jamais formulé ainsi. Mais apparemment ils auraient préféré qu’il s’arrête avant d’être vaincu. Cette image de perfection d’un athlète vainqueur et souriant aurait été préservée.

Or je pense au contraire qu’avec cette course Usain Bolt prend une dimension supplémentaire et qu’il en ressort encore grandi. Il y a en effet une forme de faiblesse à se retirer au sommet de la gloire, à partir sur une série de succès. Comme si on refusait le combat suivant par peur de le perdre. Usain Bolt a eu le courage d’aller plus loin, de remettre son titre en jeu et de prendre le risque de connaître cette défaite.

Mais était-ce vraiment un risque ? Et est-ce vraiment une défaite ?

Ce qu’il nous a montré après l’arrivée est bien plus enrichissant qu’une victoire. Il a fait un tour d’honneur plein d’humilité, avec un sourire sincère. Il a salué chaque travée du stade, il a accordé des selfies à des spectateurs fous de joie, il a donné du plaisir. Alors qu’il venait de finir 3ème. Il a montré que même le plus exigeant, le plus prestigieux des sportifs, peut rester heureux alors même qu’il n’a pas gagné la course.

Désolé mais je ne m'en lasse pas
Désolé mais je ne m’en lasse pas

Ajouté au geste de Gatlin se faisant le vassal de celui qu’il venait de vaincre, ce spectacle offert par Bolt après la course est infiniment plus enrichissant que ce qu’aurait pu donner une nouvelle victoire du Jamaïquain. Le sport en ressort grandi et le monde un peu meilleur.

Décidément non, ce n’était pas la course de trop.

 

 

 

 

 

 

1 commentaire

  1. Bravo Mal pour ce post qui remet l’église au centre du village.
    L’obsession des « records », l’exagération et l’utilisation excessive de l’adjectif « historique » finissent par masquer la beauté du sport. On finit par parler plus du nombre de victoires de Bolt que de sa foulée, plus du nombre de grands shlems de Federer que de son style inimitable.

    J’aime

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