Un après-midi il y a cinq ans, après quelques verres, j’eus envie de m’amuser, et je me laissai aller à écrire n’importe quoi, un « classement des footballeurs les plus surestimés de tous les temps ». De l’ironie, de la provocation, je riais tout en écrivant. Je mis en ligne. A ma surprise, ce fut un succès. Plus de deux cent cinquante mille lecteurs. Plus incroyable encore : on prit mon classement loufoque au sérieux. J’en déduisis qu’Internet avait tué l’ironie.
La même chose exactement est arrivée à un journaliste du « Times Higher Education » de Londres. Sans doute lassé par le ton trop sérieux de son magazine, il décida de publier un classement totalement loufoque des universités européennes: eh bien le monde entier prit ce classement au premier degré!
« Le Monde » vient d’ailleurs de consacrer un article à la mouture 2017 de ce classement. C’est à peine croyable mais « Le Monde » ne dit à aucun moment que ce classement est une bonne blague d’étudiant.
Pourtant, quelle rigolade!
King’s College, une fac anglaise tout à fait honorable, où l’on entre avec 12 au Bac et une lettre, et où on perfectionne pendant trois ans ses connaissances de toutes les sortes de bières, est classée 11ème, tandis que Normale Sup est 20ème et Polytechnique, 48ème.
Bref, c’est loufoque, mais au moins, c’est drôle.
Le fantaisiste journaliste du Times Higher Education, malin, a choisi des critères de façon à favoriser les facs anglaises et le système anglais. Il veut nous faire rire et il y arrive, bravo à lui !
Quelques recettes: mélanger des choux et des carottes, comparer de vastes établissements multidisciplinaires post bac, sans vraie sélection autre qu’un dossier et une condition sur les notes au Bac, à des établissements de second et troisième cycle, petits, spécialisés et recrutant après deux ans de classe préparatoire sur un concours ultra sélectif ; comparer deux types d’écoles qui ne peuvent pas l’être, avec des critères favorisant les premiers.
Quiconque a rencontré un étudiant d’HEC, de l’X ou mieux encore de Normale Sup, et un étudiant de University of Manchester, sait que sur le plan purement académique, un océan, et pas la manche, les séparent. Pourtant Manchester est 15ème, loin devant les écoles d’élite françaises.

Quiconque a une petite idée de la qualité du corps enseignant à l’X et à Normale Sup, qualité au moins égale, pour les meilleurs profs, et sans doute meilleure pour les moins prestigieux, à celle d’Oxford et Cambridge, se tient les côtes en découvrant le gouffre qui sépare, dans le classement du Times, « Oxbridge », l’élite anglaise, de X-Normale, l’élite française.

Tout le monde devrait rire, donc.
Pourtant, personne ne rit.
Pire, les plus hautes autorités françaises veulent réformer notre système pour remonter dans ce classement!
Vous avez bien lu: elles veulent faire de vraies réformes, avec du vrai argent, du vrai temps, de vrais emmerdements, pour satisfaire les critères d’un classement humoristique.
Par exemple, la taille est importante pour le farceur du Times Higher Education, donc elles veulent augmenter la taille de nos établissements. Elles demandent à nos grandes écoles de se « regrouper ». Elles parlent également de modifier l’organisation de notre recherche, et notamment l’équilibre entre le CNRS et la recherche dans les écoles.
Elles sont prêtes à casser ce qui marche en France pour remonter dans ce classement comique !
Une illusion, ce classement, se substitue, par la magie du marketing anglais, à la réalité, comme dans un film de David Lynch, et finit par changer le monde réel.

Merci pour cet article ! intéressant
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merci pour ce classement !
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