Par Bertrand Fitoussi
On a retrouvé une inscription en lettres de sang sur le mur Facebook de l’Ironie : « Internet m’a tuer ».
Enquête au cœur d’un meurtre digital.
Balotelli condamné par un monde sans ironie
Fin 2014, Mario Balotelli (mb459), le joueur italien de Liverpool, écope d’un match de suspension et de 25’000 livres d’amende pour un simple tweet.
Il a beau développer une défense à la Pierre Desproges (« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde »), plaider que, lui, noir, victime du racisme de certains supporters italiens, élevé par une mère juive dans sa famille d’accueil, n’est évidemment ni raciste, ni antisémite, et qu’il pensait donc qu’on comprendrait son ironie, il n’est pas entendu.
Imperméables au second degré, les internautes en meute se déchaînent ; on apaise le troll par des excuses publiques et une condamnation.
Balotelli, victime du racisme, condamné pour racisme à cause d’un tweet anti-raciste ironique, n’est-ce pas le comble de l’ironie ?
Le joueur apprend à ses dépens que l’ironie n’a pas sa place sur les réseaux.
Les heures sombres reviennent
Une anecdote personnelle : en 2012, pendant la campagne présidentielle, lassé et amusé à la fois par une énième Reductio ad Hitlerum ridicule, je me laissai aller à publier sur les réseaux sociaux quelques commentaires politiques ironiques. Je publiai par exemple une photo toute noire du fond de ma poche avec la légende ci-dessous.

Je craignais de perdre mes amis de gauche à cause de mes moqueries. Erreur. Personne ne comprit l’ironie, et ce furent mes amis de droite qui me tournèrent le dos. (Je m’excusai publiquement, bien entendu, puisque je suis une lopette, comme le savent nos lecteurs.)
Le smiley, préservatif qui détruit le plaisir
Comme Balotelli, je n’avais pas respecté la loi de la communication digitale : j’avais omis d’ajouter un clin d’œil : 😉 .
Le clin d’œil ( 😉 ), c’est la fin de l’ironie.
Sous couvert de sérieux, l’ironie expose le ridicule d’une idée. Beauté du deuxième degré : un effort est nécessaire pour comprendre le comique. La blague ironique sépare, hiérarchise, crée des clivages. Elitiste, elle s’oppose à la démocratie parfaite d’Internet.
Le smiley est une catastrophe : il détruit le plaisir intellectuel.
C’est un préservatif qui nous protège de la maladie d’Internet : le lynchage public. Ne prenez pas de risques ! Sortez couverts ! Le smiley est la seule protection efficace contre les AIT (Accusations Internètement Transmissibles) : non je ne suis pas raciste, non je ne suis pas misogyne, non (amis de gauche) je ne suis pas de droite, non (amis de droite) je ne suis pas de gauche. Non, lecteurs, je ne suis pas opposé au progrès.
Avec le clin d’œil, je me protège, mais seule demeure la platitude du premier degré, l’automatisme du rire d’adhésion.
Pourtant tout le monde rit…
Le web est pourtant un espace rempli de joyeuses blagues. Dans « La Plaisanterie », Kundera explique que la société tchécoslovaque de 1949 (une démocratie populaire, comme Internet) était « d’un sérieux rigide, avec ceci d’étonnant que ce sérieux n’avait rien de sombre, mais au contraire les dehors du sourire ; oui, ces années-là se déclaraient les plus joyeuses de toutes… ».
Le rire d’Internet est ce rire tchécoslovaque : un rire d’adhésion, une joie d’appartenir au même monde que les autres. Tout le monde rit de la même chose en même temps, puis tout le monde rit une seconde fois du rire général.
C’est un rire né de l’esprit de sérieux, le faux rire des agélastes.
« Agélaste » « est le néologisme que Rabelais a créé à partir du grec pour désigner ceux qui ne savent pas rire » (Milan Kundra, « Le Rideau »). Avec eux, Kundera se sent «mal à l’aise : [il] censure [ses] propos pour ne pas être mal compris, pour ne pas paraître cynique, pour ne pas les blesser par un mot trop léger. Ils ne vivent pas en paix avec le comique » (« Le Rideau »).
Ce rire, dépourvu d’ambiguïté, est une moquerie, une violence, parsemée de smileys, exercée par des hordes de soudards, agélastes qui s’ignorent.*
« L’homme pense, Dieu rit »
La vraie ironie est un rire de destruction des certitudes. C’est le rire de Voltaire contre Pangloss. Un rire férocement individualiste ; les foules d’Internet, qui chassent en groupe, ne veulent pas en entendre parler.
C’est « le rire de Dieu » dit Kundera, citant un proverbe juif (« L’homme pense, Dieu rit »), dans « L’Art du roman ».
Progression de la bêtise des idées reçues
On souligne souvent qu’Internet permet à n’importe qui d’écrire n’importe quoi (ce blog en est d’ailleurs une parfaite illustration). On ne souligne pas assez qu’Internet permet d’abord à n’importe qui de lire n’importe quoi.
L’ironie n’est possible que lorsque l’on connait à peu près son public, et lorsque le public lui-même sait d’où l’auteur écrit.
Pour Kundera, la grande leçon des romans de Flaubert est le rôle central de la bêtise dans nos vies. Il affirme dans « L’art du roman »:
« Mais le plus choquant, le plus scandaleux dans la vision flaubertienne de la bêtise est ceci : la bêtise ne s’efface pas devant la science, la technique, le progrès, la modernité, au contraire, avec le progrès, elle progresse elle aussi ! »
Et Kundera n’a même pas ajouté un ;).
Plus les génies de la Silicon Valley modifient nos vies par leur technologie, plus la bêtise progresse.
L’ironie réfugiée politique dans le roman
Dans « Les Testaments trahis », Kundera donne cette belle définition :
« L’ironie veut dire : aucune des affirmations qu’on trouve dans un roman ne peut être prise isolément, chacune d’elle se trouve dans une confrontation complexe et contradictoire avec d’autres affirmations, d’autres situations, d’autres gestes, d’autres idées, d’autres événements. Seule une lecture lente, deux fois, plusieurs fois répétée, fera ressortir tous les rapports ironiques a l’intérieur du roman sans lesquels le roman restera incompris. »
Autrement dit, le seul message du roman est : le rire de Dieu est peut-être le rire du Diable, nul ne le sait.
« Ma vie d’homme » de Philip Roth
Philip Roth est un grand maître de l’ironie. « Ma vie d’homme », un de ses nombreux chefs d’œuvre, commence par deux longues nouvelles, intitulées « Fictions utiles ». Elles sont censées avoir été écrites par Peter Tarnopol, un écrivain qui raconte sa vraie vie dans la longue seconde partie du roman. Ainsi, Roth, qui s’inspire lui-même librement de sa vie sentimentale, imagine comment un écrivain travestirait des détails de sa vie pour inventer ; il cherche dans une fausse vie réelle l’origine de l’étincelle de la fiction.
Roth regarde dans le miroir du miroir.
Roman brillant, parfait dans sa construction et son style, il culmine dans une seconde partie où l’ambiguïté de l’ironie emporte tout sur son passage.
Comme le conseille Kundera dans « Les Testaments trahis », il faut lire et relire « Ma vie d’homme » pour seulement commencer à distinguer les multiples images dans les miroirs de l’ironie. Ce type de lecture est le contraire absolu de la lecture sur écran. Comme Philip Roth l’a lui-même affirmé dans plusieurs interviews, on a le droit d’être pessimiste pour l’avenir de cette lecture attentive.
* Alain Finkielkraut, dans une interview au « Point » du 9 avril 2015 : « Ne vous y trompez pas : l’esprit de sérieux fait maintenant des blagues. Les agélastes sont devenus humoristes. Ils sanctionnent par le rire tous ceux qui pensent en dehors des clous. »

Cher Bensolam
L un de vos plus brillants papiers ! Bravo !
Je vous donne 2 like
Et vous invite à tenter le double smiley 😉 😉 qui indique qu on est passé au 3 eme degré. Illustration ;
– 1 et degré : votre post est top !
– 2 eme degré : votre post est lourd, ne parle pas de foot, il est raciste donc vous êtes raciste : vous y défendez 3 racistes (Finky, Flaubert et Balle à Telli) 😉
– 3 eme degré : votre post est top 😉 😉 …
Je vous laisse avec l insoutenable angoisse du blogueur face à ses lecteurs passés depuis bien longtemps dans l univers du 3 eme degré 😉 😉 😉
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Je suis profondément choqué de l’utilisation purement utilitaire qui est faite de M. Balotelli dans ce post.
En effet, cet article ne parle en RIEN de foot, alors que le blog se nomme Panthéon Foot, ne l’oublions pas.
L’auteur (Benlosam, sans doute un pseudo) bien conscient de son escroquerie intellectuelle qui consiste à nous abreuver des pensées érotico-oiseuses d’un certain Philip Roth dont personne ne connait le nom du club, ni même le poste (et j’ai vérifié sur WikiFoot : aucun joueur connu de ce nom !!), dissimule sa manoeuvre en commençant son article avec Mario Balotelli….qui lui est un vrai joueur de foot !
Donc, le supporter, croyant avec des news sur super mario, se retrouve à lire un article sur philip Roth et, pire des textes de ce monsieur : le fait que le lecteur risque d’être foudroyé par une méningite ne semble pas inquiété l’auteur…
Et puis, comme par hasard, c’est un footballeur africain, et par conséquent quasi-noir, qui est utilisé comme un oncle Tom par mossieur Bensolam, comme au pire temps du colonialisme…
En conséquence, je demande que 6 pojnts soient retirés au PSG !!!
Signé JM AULAS.
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Cher Monsieur Aulas, pensez à mettre des 😉 la prochaine fois, 😉
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