Mais le plus souvent, les choses se passent mal
Le meilleur moment, en amour, tout le monde le sait, c’est lorsque l’on monte l’escalier derrière la fille. En sport, le meilleur moment, c’est le désir du retour. Mais le retour lui-même est décevant, terre à terre, souvent même un peu gênant. Le temps a passé, imperceptiblement, tout a changé, les corps se sont alourdis, la magie a disparu. Le mythe se transforme au mieux, en comédie, au pire en mauvais spectacle pénible.
Et l’on préfère parfois oublier ces retours encombrants qui détruiraient nos beaux souvenirs.
On a volontairement oublié, par exemple, le retour pathétique de Borg, le grand champion de tennis suédois, en 1991, à l’âge de 35 ans, huit ans après avoir arrêté sa carrière. Il est revenu avec sa petite raquette Donnay en bois, alors que les autres joueurs étaient passés au grand tamis. Il a joué deux ans des tournois secondaires sans jamais gagner un match.
Le retour raté, c’est la norme.
Pourtant, rien n’arrête le désir irrationnel de retour. Alors, très rarement, lorsque mythe et réalité se confondent, comme avec Henry à Arsenal en 2012, on entre dans la légende.

La mort elle –même n’est un problème que dans la mesure où elle brise nos rêves d’éternel retour.
Quelle a été, par exemple, notre première pensée le matin du 8 décembre 1980 ?
« Le retour mythique des Beatles n’aura jamais lieu ». Nous venions d’apprendre l’assassinat de John Lennon.
Le désir de reformation des groupes de rock est évidemment une des manifestations du mythe. En France nous attendons, impatiemment, depuis 26 ans, que Téléphone se reforme. On a rêvé d’un autre monde. « Maintenant, je reviens », chante Jean-Louis Aubert. Chiche ?
Matts Wilander n’est jamais vraiment revenu
Et bien justement, paraphrasons Téléphone, peut-être un autre monde existe-t-il vraiment, un monde au-delà du mythe de l’éternel retour.
C’est le monde de l’idylle, où seul Matts Wilander s’est aventuré, avec quelques personnages de Kundera ; Tomas et Tereza à la fin de leur vie, abrités dans une petite ville éloignée des grands centres, dans « L’Insoutenable légèreté de l’être », ou Agnès, se promenant sur des sentiers de montagne, juste avant sa mort accidentelle, dans « L’Immortalité ».
Dans ce monde, la gloire, la reconnaissance, l’ambition, le destin lui-même, n’existent plus et perdent leur sens. Dans le monde de l’idylle, on peut être heureux parce que justement on a renoncé à tous ces mots, et que l’on a oublié jusqu’à leur signification.
Wilander est entré dans ce monde par une porte secrète du destin.
En 1988, il finit la saison numéro 1 mondial. Il vient de remporter trois des quatre grands schlems, Australie, Roland Garros, US Open. Il n’a que 24 ans, il est au sommet de sa carrière, commencée très jeune, en 1982, avec une première victoire à Roland Garros.
Décembre 1988, il est à Londres. Le temps est glacé, la nuit tombe à 15h. Il est un peu déprimé, la saison a été glorieuse, mais longue. Pourtant il doit encore partir aux Etats-Unis, pour des impératifs de carrière. Sa place est réservée dans l’avion 103 Pan Am. Une voiture pour Heathrow l’attend déjà en bas de son hôtel. Il est las, fatigué moralement. Au dernier moment, après avoir changé plusieurs fois d’avis, et malgré la pression de son entourage, qui lui rappelle ses obligations, il décide de ne pas partir. Il veut rentrer chez lui, en Suède, se reposer.
Plus tard dans la soirée de ce 21 décembre, il apprend que le vol 103 Pan Am s’est écrasé sur Lockerbie, déchiqueté par une bombe terroriste placée à bord. Il n’y a aucun survivant parmi les 259 passagers.
Wilander change alors totalement de priorités : il quitte notre monde pour entrer dans le monde de l’idylle. Car pour lui, plus de mythe. En tant que survivant, il ne pense plus qu’une vie non répétée est trop légère pour valoir quelque chose. Il connait le poids de sa vie. Il vie au-delà du mythe.
Après une longue pause, il recommence à jouer au tennis, mais décline dès l’année suivante à la 13ème place, puis rapidement, au-delà de la 100ème place mondiale.
Il ne gagnera plus jamais le moindre tournoi. Il ne se rapprochera plus jamais des meilleurs.
Pourtant, il continuera à jouer très longtemps, jusqu’en 1996, navigant dans des tournois secondaires, contre des adversaires improbables, aux alentours de la 200ème place mondiale.
On s’apitoie sur son sort, on ne comprend pas pourquoi il continue, lui, l’ancien numéro 1.
Dans une interview à l’Equipe Magazine, il y a quelques années, il expliqua qu’au contraire, ces années avaient été les plus belles de sa carrière. Il jouait sans aucune pression, il était heureux. Il en avait parlé à Yannick Noah, et celui-ci lui avait dit qu’il le comprenait, car « l’important c’est le plaisir que l’on prend au moment où on frappe la balle, pas l’endroit où elle va ».

Cette philosophie, ce n’est pas celle de Didier Deschamps et Bernard Tapie, ce n’est pas celle qui dit « seule la victoire est jolie ». C’est celle d’un monde où les résultats n’ont aucune importance, où seuls comptent les beaux gestes et le plaisir que l’on en retire.
Quand on atteint cet état, extrêmement rare, le retour n’est plus nécessaire. On n’a plus rien à prouver. On est indifférent au poids ou à l’absence de poids de notre vie. Au-delà de la gloire, on peut, comme Matts Wilander, perdre dans des tournois secondaires contre des inconnus. On a renoncé à l’éternel retour.
Alors, et alors seulement, on est heureux.
Thierry Henry reviendra éternellement, oui, mais combien de fois ?
Quant à Henry, comme nous tous, il n’a visiblement pas atteint cette contrée paisible où Wilander reste bien seul. Il veut donc revenir une seconde fois à Arsenal, retrouver encore et toujours sa gloire.
Mais attention. Napoléon a réussi son retour, avec cent beaux jours, même si, de manière un peu comparable au retour de Zidane en équipe de France, en 2005-2006, le dernier jour à Waterloo s’est moins bien passé. Il est revenu triomphalement de l’Ile d’Elbe. Mais l’aurait-on imaginé revenir de Sainte-Hélène ? Non, bien sur.
Henry, en bon lecteur de Nietzsche, est, quant à lui, prêt à revenir chaque année à Arsenal, jusqu’au bout des temps, et en commençant par janvier 2013, car « Cette vie, telle que tu l’as vécue, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois » (Nietzsche, le Gai Savoir).
M. Henry, vous avez réussi le retour parfait en janvier 2012, vous avez pleuré, nous aussi. Vous êtes une légende. Maintenez, restez à Sainte-Hélène. Ne revenez plus.
Regardez Berlusconi : il n’arrête pas de revenir. Souhaitez-vous, comme lui, transformer votre légende en farce ?
Restez sur un retour gagnant. Nous nous recueillerons sur votre statue devant le stade d’Arsenal. Nous donnerons votre nom à des places et à des rues.
Quand on a réussi un retour mythique comme le vôtre, on prend sa retraite, on annonce officiellement « Je ne reviendrai plus jamais, j’ai décidé d’arrêter de revenir ». On cultive son jardin, en attendant tranquillement la mort.
On ne prend pas le risque de casser sa statue avec un retour de trop.

Un jour, espérons-le, le désir de retour aura quitté Henry comme il nous aura quitté. Comme Matts Wilander, nous serons des sages et nos rêves de gloire seront oubliés.
Paragraphe ajouté le 16 décembre 2014, retraite de Henry
Deux ans après ces lignes, Thierry Henry a donc enfin écouté nos conseils. Il a rejoint Matts Wilander, Tomas et Teresa, dans le monde de l’idylle, en annonçant sa retraite. Renoncer à la gloire, renoncer aux stades pleins, renoncer à revenir sans cesse comme les Rolling Stones, qui sont de plus en plus maigres, vieux et ridés, -et qui n’ont toujours pas de satisfaction-, c’est la condition de la paix intérieure.
Sa carrière a été magnifique, entré dans la légende de son vivant, comme Gandhi, De Gaulle ou Alain Souchon -qui eux n’ont pas eu la sagesse d’arrêter à 37 ans-, Henry va pouvoir profiter de son immortalité heureuse en regardant les gunners perdre contre Chelsea tous les ans.
Le retour de Thierry Henry, ou plutôt l’application au football des Guest Stars de nos séries américaines tant aimées. Dans un épisode de Mission impossible, la barbe sombre de Thierry Henry conviendrait bien à un personnage moyen-oriental fomentant quelque complot visant à anéantir tous les stades du monde entier à l’aide de missiles envoyés en pleine lucarne. Ou, plus sympathique, mais aussi peu crédible, un copain très down de Huggy Les bons Tuyaux dans Starsky et Hutch. Là-aussi, featuring Thierry Henry le temps d’une scène de foot de rue où on le voit amortir plusieurs balles dans la poitrine et jongler avec une grenade sur la tête. Une panouille de cinq minutes, avant de plonger dans une mare de sang. Featuring Thierry Henry encore, en chef de ranch mal luné dans les Mystères de l’Ouest, piégé par les finesses tactiques de James West et d’Artemus Gordon.
Les Guest Stars étaient le sel de ces plats en sauce servis chaque samedi après-midi par Bernard Golet (Goley, Golé, Goalé ?). La plupart nous étaient inconnues : James Mc Cleary, Samantha Duncan, Barney De La Fouchardière, Josh Cook et autres André Koularakis… ; des seconds couteaux aperçus dans des westerns d’avant guerre ou avalés par la créature du Lac Noir, des vedettes qui avaient joué avec des vedettes qui avaient joué avec John Wayne, pour accompagner des pin-up de deuxième division bien assez belles pour nous faire oublier leurs misérables cachetons (remember Barbara Bain, raaaaaa*). Les Guest Stars , où Hollywood à la portée des crevards.
Encore qu’il est un peu sévère de comparer Thierry Henry à Barney De la Fouchardière ou Josh Cook. Il serait plus juste de le rapprocher de Guest autrement plus prestigieux, tels Bela Lugosi dans Les têtes brûlées, Michel Simon dans Drôles de Dames, ou Burt Lancaster dans Fais pas ci, fais pas ça. Le plaisir de voir ces étoiles invitées confère ainsi à nos chères séries une dimension proprement mythologique.
A dire vrai, le football réinvente le phénomène des Guest stars pour le plus grand plaisir d’un public blasé et vieillissant. A Lyon, la réapparition de Steed Malbranque nous rappelle celle de Luke Fishmore dans l’épisode 25 d’Hawaï Police d’Etat. L’histoire d’un tueur à gages sympa qui finit dévoré par des requins plutôt que d’accepter le dernier contrat proposé par John Oolaze, un gangster poursuivi par Jack -Le Great- Lord. Luke Fishmore, on ne savait pas trop d’où il sortait (l’un des bandits Mexicains dans Les Sept Mercenaires si ma mémoire est bonne), mais son statut de Guest star nous l’avait vraiment rendu attachant. Thierry Henry appartient à une catégorie de Guests bien plus classe, visant à conjurer le déclin des séries aux ressorts émoussés. L’épisode de 2012, featuring Thierry Henry, nous avait rappelé de très lointains souvenirs d’une époque où il jouait avec un casting de rêve. Un retour apprécié et plutôt crédible, ponctué d’un ou deux morceaux de bravoure. The guy could act. L’épisode 2013 risque de plomber l’affaire, et d’envoyer la saga d’Arsenal dans le trou noir des séries disparues.
*Mission impossible, Cosmos 1999
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M. Thunder, votre commentaire est passionnant. Vous avez raison, le retour des « vieilles stars » dans les séries télévisées (souvent de seconde catégorie) est une des nombreuses manifestations du mythe de l’éternel retour. Votre culture encyclopédique donne une vue très complète des séries depuis les années 70. Plus proche de nous, et pour nos jeunes lecteurs, on peut citer également le retour de Sharon Stone dans « New York unité spéciale ». Mais là encore, retour raté. Car si Henry, lors de son retour, nous a régalé de sa spéciale, frappe enroulée intérieur du droit, petit filet éloigné, Sharon Stone, elle, n’a pas été capable de reproduire sa spéciale, jambes écartées sans culotte à la Basic Instinc, dans New York unité spéciale. C’est bien triste. A vous lire.
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Certes. Ultime avatar, j’entends dire que René Girard (l’entraîneur de Montpellier, pas le philosophe de Stanford, à moins que leurs postes soient interchangeables) est pressenti pour un nouvel épisode des Envahisseurs avec le petit fils de Roy Thynnes dans le premier rôle. Petite finesse de cette version péniblement contemporaine, les extra-terrestres, menés par l’inquiétant René Girard, ne seraient plus reconnaissables à leur auriculaire de travers, mais à leur majeur ostensiblement dressé.
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Cher Benlosam, je souhaiterais avoir un éclairage de votre part sur quelques retours réels et bien que cela semble contradictoire, néanmoins mythiques:
-celui de Zinedine Zidane en 2005/2006 et cela alors même que le grand Polanski, dans un mail devenu mythique, prévoyait le contraire
-le retour d’André Agassi dont certains auraient préféré ne pas croiser la route ni la balle
-le retour du Jedi, qui lui aussi a marqué l’histoire.
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Ferenc, vous et moi savons que Polanski se trompe assez souvent. Mais nous l’aimons quand même. J’avais écrit une première version du post qui était une sorte de liste des grands retours sportifs. C’était un peu barbant, j’ai opté pour une version lyrique avec assez peu de retours référencés. Et donc je parlais du retour de Thomas Muster à plus de 40 ans, bien sur d’Agassi, perdu pour le tennis, s’abîmant dans l’alcool et la drogue, et qui revient, contre toute attente et gagne de nouveau Roland et US Open! J’évoque dans la version mise en ligne le retour de Zidane, le comparant à Napoléon, retour réussi, sauf le dernier jour, où ils passèrent à un cheveu d’être déifiés vivants, à un coup de tête près, à un Grouchy en retard près. Quand au Jeudi, je vous l’accorde bien volontiers, il revient tous les sept jours, et ce côté circulaire de nos vies est certainement le plus bel hommage au mythe de l’éternel retour. Au plaisir de vous lire à nouveau.
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@Benlosam : Pas le Jeudi !!!! LE RETOUR DU JEDI ( STAR WARS)
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