Thierry Henry et le « mythe de l’éternel retour » (partie I / II)

16 décembre 2014 : à 37 ans, Thierry Henry annonce sa retraite définitive, voilà c’est fini

Henry l’a annoncé officiellement : il ne reviendra plus, ni à Arsenal, ni en équipe de France. Il arrête. Voilà, c’est fini. Il deviendra consultant télévision sur Sky TV (il était excellent pendant la coupe du monde au brésil, son perpétuel sourire ironique aux lèvres, plein de cette connaissance infinie du football qu’il possède plus que tout autre grand joueur).

En décembre 2012, j’avais publié un post (coupé en deux car trop long) sur Henry et le mythe de l’éternel retour. Puisqu’Henry a décidé aujourd’hui de détruire le mythe, de casser nos rêves, j’en profite pour remettre en ligne ces posts qui sont plus que jamais d’actualité. Les voici :

Henry reviendra éternellement à Arsenal

Décembre 2012 : l’hiver revient, les jours raccourcissent, les jupes s’allongent, et l’on reparle d’un possible retour temporaire de Thierry Henry à Arsenal, pendant la trêve du championnat américain.

Henry a quitté Arsenal en 2007, après 8 années passées dans le nord de Londres, le numéro 14 sur le dos. Il est parti à Barcelone, où il a tout gagné, puis aux New York Bulls, en 2010, dans ce qui devait être le crépuscule de sa carrière.

Mais Henry a toujours proclamé n’avoir qu’un seul amour. Son premier amour, Arsenal, sera aussi son dernier. Et il l’a prouvé. Contre toute attente et toute logique, barbu, ridé peut-être, il est revenu en prêt à Arsenal, l’hiver dernier (janvier 2012), à trente quatre ans. Comme dans un film hollywoodien, il a foulé à nouveau la pelouse de l’Emirates Stadium -je jure que je l’ai vu de mes propres yeux, du bord des tribunes, je me suis pincé, je ne rêvais pas-, pour sept bouts de matchs et deux buts, avec cette fois le numéro 12 sur le dos, comme en équipe de France.

Pour sa première réapparition, en coupe, en janvier 2012, contre Leeds, dix minutes après son entrée en jeu, il a marqué d’une frappe enroulée du droit, petit filet, sa spéciale, et a donné la victoire et la qualification à Arsenal, déclenchant une immense onde de bonheur à travers le monde, chez les millions de fans des gunners. Lui-même a déclaré qu’il s’agissait peut-être de la plus grande joie de sa carrière.

But de Thierry Henry contre Leeds, Janvier 2012

Et pourtant, Henry est le meilleur buteur de l’histoire d’Arsenal (228 buts), et de l’équipe de France (51 buts). Il a marqué des buts beaucoup plus importants, comme, par exemple, celui qui qualifie la France contre le Brésil en quarts de finale de la coupe du monde, en 2006, sur passe de Zidane.

Le mythe de l’éternel retour

Pourquoi ce retour, ce but, ont-ils plus touché nos cœurs, nos âmes, et le cœur de Henry lui-même, que tous les moments bien plus importants de sa carrière ?

Parce que l’on se situe au cœur d’un mythe fondamental, le mythe de l’éternel retour.

L’interprétation romanesque, par Milan Kundera de ce mythe si important pour Nietzsche, nous aide à comprendre la portée du retour éternel de Henry :

 « Le mythe de l’éternel retour affirme, par la négation, que la vie qui disparaît une fois pour toutes, qui ne revient pas, est semblable à une ombre, est sans poids, est morte d’avance, et fût-elle atroce, belle, splendide, cette atrocité, cette beauté, cette splendeur ne signifient rien. »

Milan Kundera, « L’Insoutenable légèreté de l’être »

Le mythe de l’éternel retour est en chacun de nous car il nous aide à oublier que nos vies sont totalement dépourvues de sens. Si l’on revenait sans cesse, nos actes, répétés, prendraient de l’importance, et nos vies signifieraient quelque chose.

On ne peut évidemment pas revenir, recommencer les mêmes moments, au même âge, de la même façon. Ce mythe est un désir en nous, comme le désir d’immortalité, le désir d’éternelle jeunesse, mais il devrait rester à jamais inassouvi.

Si l’éternel retour était possible, si on pouvait recommencer un nombre infini de fois notre vie, on revivrait les joies mais aussi les douleurs. Notre vie prendrait du poids, comme le dit Kundera, pourtant, nous préférerions, sans doute, garder une vie unique, dépourvue de valeur, plutôt que de toujours recommencer une existence ordinaire. Nous renoncerions au retour.

Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietsche explique :

«La question  » veux-tu cela encore une fois et une quantité innombrable de fois « , cette question, en tout et pour tout, pèserait sur toutes tes actions d’un poids formidable. Comme il te faudrait alors aimer la vie, comme il faudrait que tu t’aimes toi-même, pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation ! ».

Nous n’aimons pas suffisamment nos vies, ordinaires, pour les revivre indéfiniment.

Mais certains êtres ont des vies exceptionnelles. Les grandes figues de l’humanité, les pharaons, Jésus Christ, César, Napoléon, les grands savants, les grands artistes. Et aujourd’hui les grands sportifs, adulés par les foules. Ces figures publiques aiment suffisamment leur vie, comme le dit Nietzche, aux yeux des autres, et parfois à leurs propres yeux, pour souhaiter le retour éternel.

Le sport, laboratoire du mythe de l’éternel retour

C’est pourquoi le mythe de l’éternel retour est si important dans le monde du sport, dans ses représentations, et dans les attentes du public. Le désir d’éternel retour s’y donne libre cours, et tout se passe comme si on oubliait son impossibilité, comme si on confondait mythe et réalité.

Si Nietzsche avait vécu au vingtième siècle, l’histoire de la philosophie aurait probablement été complètement bouleversée puisque le développement du sport de masse, avec son énorme impact médiatique et populaire, a servi de laboratoire au mythe.

Les carrières sportives sont tellement courtes : elles nous rappellent à quel point notre jeunesse est éphémère. Elles suscitent presque immédiatement le désir de retour. Laure Manoudou est revenue dès l’âge de 25 ans ! (Elle est repartie depuis.)

Le retour du sportif est d’autant plus désiré qu’il prouverait que la volonté est plus forte que le temps et le vieillissement, que l’homme domine la nature. Au carrefour de mythes. Revenir en pleine lumière, revivre sa gloire, montrer que l’âge n’a pas de prise.

Henry marque contre le Brésil en 2006 (coup franc de Zidane)

Le sport déclenche aussi, on l’a vu avec Henry, des passions proches de la passion amoureuse : l’amour du maillot, l’amour pour le club de sa jeunesse, et le phénomène de starification des grands sportifs. Un amour qui s’en va, comme tous les amours, mais auquel on garde toujours l’espoir de revenir, comme à son premier amour. Démontrer que l’on aime encore, que cet amour de jeunesse n’était pas une illusion vide, et vérifier que l’on peut encore être aimé, malgré le temps qui passe.

Une variante populaire du mythe est celle du retour de l’enfant prodige. Comme Solal est revenu à Céphalonie, dans le roman d’Albert Cohen du même nom, après avoir été Ministre de la France, déclenchant les larmes et le bonheur de l’oncle Saltiel, le footballeur, parti trouver la fortune à Madrid, Turin, Milan ou Manchester, reviendra un jour dans le tout petit club de son enfance, comme Platini reviendra à Nancy, et Zidane à Cannes. Si Dieu veut.

(A suivre dans la partie II, ici )

6 commentaires

  1. Je crains neanmoins que l’eternel retour des lecteurs de Pantheon Foot sur ce site est compromis.
    Nous savons bien que le modele financier de ce blog est mysterieux, vu la contradiction apparente entre un sport populaire, de masse, et l’angle journalistico philosophico elitiste des deux auteurs.
    Pourtant, jusqu’ici, Benlosam et Mal reussissaient a concilier ces extremes. Parfois avec brio.
    Mais cette fois ci Benlosam va trop loin.
    Nous verrons. Cet article pourrait bien être celui de trop. Mais je ne serais pas surpris que le blog soit rachete par telerama.

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    1. @Polanski :
      Ëtre rachetés par Télérama est évidemment notre objectif. Le rêve ultime étant d’écrire dans ce grand journal, guide de la pensée culturelle française, dans lequel la bien-pensance tiers-mondiste prend le masque de la rébellion antiraciste.

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