Compte pénibilité : les footballeurs aussi

Nous arrivons au 1er juillet 2016 et le MEDEF refuse d’appliquer la loi pénibilité, déclenchant une rixe avec le gouvernement et la CFDT. Il nous a donc semblé intéressant de nous replonger dans notre analyse de décembre 2014 :

Comme toutes les entreprises, les clubs de football devront appliquer la nouvelle loi. Explications et analyse.

Rappel de la polémique « Pénibilité »

Les chefs d’entreprise se plaignent du coût inconnu de la mesure et du caractère inapplicable et effroyablement complexe de la loi.

La réponse des pouvoirs publics est assez argumentée, et, il faut bien le dire, incontestable.

Tout d’abord, le gouvernement fait remarquer que la plupart des lois votées récemment sont inapplicables. Si on abrogeait une loi inapplicable pour les patrons, pourquoi ne pas abroger toutes les autres lois inapplicables pour tout le monde ? Ce serait inapplicable, il y aurait trop de lois à abroger. Et si l’on n’abrogeait que le compte pénibilité, ce serait injuste : les patrons n’ont pas à être privilégiés, pourquoi seraient-ils les seuls à ne pas appliquer l’inapplicable ?

Ensuite, le gouvernement a décidé de n’appliquer qu’une partie de la loi en janvier 2015 (4 critères de pénibilité sur 10). Ce sera donc inapplicable, mais en partie seulement. La loi complète, totalement inapplicable, n’entrera en vigueur qu’au 1er juillet 2016. C’est une belle concession, d’ici là environ 5% des patrons seront morts (d’après les tables de mortalité), et donc, ceux-là au moins n’auront pas à appliquer une loi inapplicable. De quoi se plaignent-ils ?

Enfin, le gouvernement a nommé plusieurs médiateurs et plusieurs commissions qui rendront peut-être des rapports. Et une agence de communication a créé un logo.

Les clubs se préparent en ordre dispersé

Les clubs de football se préparent tant bien que mal. Le PSG aurait déjà embauché 12 salariés pour mesurer les critères de pénibilité. Lorient envisagerait de faire appel à des stagiaires d’école de commerce. L’OM serait le plus en pointe, puisqu’il aurait créé une joint venture entre le CALTECH (California Institute of Technology) et ses clubs de supporters, pour acquérir et utiliser le matériel et la formation permettant de mesurer les critères.

Droit au but

Quels critères s’appliqueront aux footballeurs ?

5 des 10 critères au moins s’appliquent aux footballeurs. Les voici avec le texte exact de la loi en italiques :

1)    Postures pénibles définies comme position forcées des articulations : Maintien des bras en l’air à une hauteur située au-dessus des épaules ou positions accroupies ou à genoux ou positions du torse en torsion à 30 degrés ou position du torse fléchi à 45 degrés

Ce critère de pénibilité concernera les gardiens mais aussi quelques milieux défensifs ou défenseurs centraux qui sautent les bras en l’air ou taclent en se contorsionnant. Toutes les actions seront répertoriés sur un carnet individuel « pénibilité ».

2)    Vibrations transmises aux mains et aux bras, vibrations transmises à l’ensemble du corps : valeur d’exposition rapportée à une période de référence de 8 heures de 0,5 m/s

Ce critère pourrait concerner tous les attaquants et beaucoup de joueurs de champ. Les clubs sont encore en train d’analyser la loi, avec l’aide de Docteurs en Physique de l’Ecole Polytechnique, pour essayer de comprendre ce que le législateur a voulu dire.

3)    Températures extrêmes : température inférieure ou égale à 5 degrés ou au moins égales à 30 degrés.

Ce critère, plus simple, s’appliquera à toute l’équipe en hiver. Quant aux joueurs qui participeront à la coupe du monde au Qatar, ils partiront beaucoup plus tôt à la retraite grâce aux points pénibilité chaleur.

En France, Ronaldo aurait bénéficié de points pénibilité chaleur

4)    Bruit mentionné à l’article R4431-1 du code du travail : niveau d’exposition au bruit rapporté à une période de référence de 8 heures d’au moins 80 décibels (A), exposition à un niveau de pression acoustique de crête au moins égal à 135 décibels (C).

Il faudra appliquer ce critère match par match, en fonction de l’ambiance dans le stade. Les erreurs d’arbitrage permettront au joueur d’acquérir plus de points de pénibilité, puisque le public hurlera à l’arbitre d’aller se faire voir, dépassant les critères (A) et (C).

5)    Travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, à une cadence imposée ou non : temps de cycle inférieur ou égal à 1 minute, 30 actions techniques ou plus par minute avec un temps de cycle supérieur à 1 minute

Les dribbleurs qui percutent régulièrement devraient pouvoir bénéficier d’un surplus de points de pénibilité sur le compte.

Un compte pénibilité par joueur

Les clubs devront ouvrir un « compte pénibilité » pour chaque joueur. Son fonctionnement sera exactement le même qu’un compte en banque classique, les joueurs recevront des relevés mensuels ou pourront opter pour le « e relevé », à la différence près que les écritures seront libellées en « points pénibilité » et pas en euros. Les joueurs se verront attribuer un username (en général prénom.nom, par exemple zlatan.ibrahimovic) et un mot de passe temporaire qu’ils devront changer à la première utilisation, puis modifier tous les trimestres par souci de sécurité.

Contrairement aux fausses informations qui ont circulé, ces « points pénibilité » ne permettront pas d’acheter des choses pénibles, comme par exemple deux billets pour un ballet contemporain à l’Opéra Bastille, mais pourront être dépensés pour racheter des trimestres de retraite (par virement, chèque ou carte bancaire).

Quelles conséquences sur le football ?

Si le compte pénibilité avait existé, Zidane serait parti à la retraite à 32 ans, et non pas à 34. Il n’y aurait jamais eu de coup de tête à Materazzi. Quand à Thierry Henry, il se reposerait au calme face à la Méditerranée depuis 2006, et n’aurait pas eu besoin de s’épuiser sur les terrains américains.

Thierry Henry lève les bras pour récolter des points pénibilité

Un peu de patriotisme

Les Présidents de club ronchonnent, ils se plaignent de contraintes supplémentaires qui vont les handicaper par rapport à leurs concurrents européens. Comment gagner la ligue des champions avec le poids du compte pénibilité, clament-ils ?

C’est pénible. Ils ont une vue bien court terme et égoïste. Le progrès social dont vont bénéficier les footballeurs de la ligue 1 permettra au contraire d’attirer les talents étrangers. Bientôt, Messi, Ronaldo ou même Aaron Ramsey, se battront pour jouer à Lorient ou à Evian, pourquoi pas, afin de bénéficier des points pénibilité.

Notre modèle social fait beaucoup d’envieux en Europe et dans le monde. Ne l’oublions pas. Cessons ce pessimisme idiot, ce French bashing ridicule, pour nous féliciter des atouts remarquables de notre pays.

Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, brûle les archives du compte pénibilité

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