Un théorème important des «mathématiques existentielles», cette branche des maths chère au Professeur Avenarius (dans «L’immortalité» de Kundera), est : «La valeur d’un hasard est égale à son degré d’improbabilité».
Or, par hasard, Kundera a publié un roman intitulé « La fête de l’insignifiance », seulement quelques mois avant la coupe du monde au Brésil. Improbable, donc très beau.
La coupe du monde de football ne sert à rien, comme le football lui-même, et alors ?
Nos lecteurs le savent, la raison d’être de ce blog est l’amour du football (même si MAL et moi parlons souvent d’autre chose). Nous aimons le football parce qu’il est injuste, inutile. Parce que le hasard décide le plus souvent du résultat. Parce qu’il faut parfois regarder plusieurs heures de football à mourir d’ennui avant d’apercevoir une magnifique étincelle de beauté. Parce que le football est plus souvent laid que beau. Parce qu’il ne sert visiblement à rien.
Parce qu’il est insignifiant.
Bref, nous l’aimons parce qu’il est la meilleure imitation de la vie humaine.
Un bonheur inutile tous les quatre ans
La coupe du monde, la plus belle compétition, revient tous les quatre ans rythmer nos vies, comme un aventurier revient voir sa maîtresse après des années de voyage. A chaque fois, son retour nous rappelle les coupes du monde du passé, notre enfance, notre jeunesse, nos anciennes amours. Dominique Rocheteau en 1982, Yannick Stopyra en 1986 ou Johan Cruijff en 1974. Et les italiens envahissent joyeusement Rome après une victoire, les brésiliens, Rio, les allemands, Berlin, les algériens, Paris et les français, South Kensington.
Immense fête du rien au Brésil
La coupe du monde, fête du football, est donc la fête du rien.
Dans « La fête de l’insignifiance », Kundera fait dire à un de ses personnages, Ramon :
« L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir : dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans des conditions aussi dramatiques et pour l’appeler par son nom. Mais il ne s’agit pas seulement de la reconnaître, il faut l’aimer, l’insignifiance, il faut apprendre à l’aimer ».
Nous, amateurs de football, réussissons donc l’exploit suggéré par le personnage Ramon : aimer l’insignifiance.
Au lieu de nous critiquer, chers amis intellectuels français qui détestez le football, vous devriez au contraire nous admirer.
Ne suivons pas les critiques du football du mauvais côté de la frontière kundérienne
Dans la septième partie du « Livre du rire et de l’oubli », intitulée « La frontière », Kundera écrit :
« Il suffisait de si peu, de si infiniment peu, pour se retrouver de l’autre côté de la frontière au-delà de laquelle plus rien n’avait de sens : l’amour, les convictions, la foi, l’histoire. Tout le mystère de la vie humaine tenait au fait qu’elle se déroule à proximité immédiate et même au contact direct de cette frontière, qu’elle n’en est pas séparée par des kilomètres, mais à peine par un millimètre. »
Les contempteurs du football regardent le ballon rond à partir du mauvais côté de la frontière kundérienne. Pour eux, la coupe du monde n’a pas de sens.
Mais pour le reste de leurs vies (l’amour, le sexe, la politique, la religion, l’art), ils restent à un millimètre de l’autre côté. Ils pensent, sans rire, ces imbéciles, que si le football n’a pas de sens, le reste en a un.
Les pauvres.
S’ils savaient, comme Ramon, que l’insignifiance est partout, qu’elle est « l’essence de l’existence », ils déchanteraient. Et ils comprendraient, que, oui, la coupe du monde, cette fête de l’insignifiance, est bien la plus belle des fêtes.