Mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Aron
Sartre est un modèle indépassable pour les hommes. Pour plaire aux femmes, avec son physique catastrophique, il n’avait pas le choix, il devait jouer au révolutionnaire, soutenir la révolution culturelle, écrire des textes absurdes. Pendant qu’Aron partait jouer au tennis après douze heures de travail sur un traité de sociologie, Simone de Beauvoir ramenait des femmes à Sartre et une petite partie à trois s’organisait tranquillement.

Sartre avait compris que les femmes (et les hommes) aiment les voyous, les délinquants, les Dom Juan qui défient Dieu, et méprisent ceux qui respectent les règles ou qui suivent des codes moraux.
Si Sartre avait décrit le réel terne, comme Aron, s’il avait lui aussi déclaré «le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable», il aurait dû se contenter de la triste vie monogame d’Aron.

Sartre et Aron étaient les deux intellectuels les plus moches de leur temps, mais Sartre était sexy.
Mieux vaut avoir tort avec Pascal Bruckner que raison avec Claude Habib
Claude Habib, dans un petit essai merveilleux, écrit avec un style qui tutoie la perfection : « Le goût de la vie commune », s’oppose absolument au lieu commun que je viens d’écrire. La vie monogame ne serait pas triste mais au contraire belle et souhaitable.
Dans l’excellente émission d’Alain Finkielkraut (Répliques sur France Culture), elle a eu un débat vif avec Pascal Bruckner (ICI). Ce dernier soutient que l’injonction moderne « vivez passionnément » rend caduque la monogamie. Les couples ne peuvent plus durer puisque la passion s’épuise*.
Malgré tout, Claude Habib résiste. Par exemple, elle défend l’ennui, cet ennui inévitable lorsque le couple dure. Pour elle, l’ennui est fécond. Elle écrit : « Toute création personnelle nait de l ‘ennui dont elle délivre. »
Ou encore, et je la cite intégralement puisqu’elle a de l’or dans les doigts :
« Contrairement à eux [les enfants], nous sommes lestés de temps, et nous avons appris, en devenant adultes, à nous retremper dans l’ennui, ce qui signifie s’immerger en soi, traverser les nappes du passé dont chacun de nous est fait en reliant mollement les actes et les paroles, les faits et les prémonitions, les occasions, les désirs et les rêves – bref, en associant ce qui vaut d’être associé. »
Et pourtant, malgré la classe de Claude Habib, malgré la limpidité de ses idées -oui la vie en couple est supérieure à la vie solitaire (« La formation de liens maternels ou conjugaux est un ajout au monde ; l’absence de liens, quant à elle, n’ajoute rien. »)-, nous préférons avoir tort avec Pascal Bruckner.
Nous préfèrerons toujours (Dieu que nous sommes idiots) une soumission à Rebecca, l’héroïne de Lune de Fiel**, ou un enfermement au milieu des jeunes beautés de la cave des Voleurs de beauté**, à un thé et des petits gâteaux avec Claude Habib et Raymond Aron. Parce que si Madame Habib a un style parfait, si elle respecte les règles, Pascal Bruckner, lui, brûle la vie par les deux bouts. C’est plus sexy.
Mieux vaut avoir tort avec Mourinho que raison avec Wenger
Arsenal a depuis dix ans le plus beau style d’Angleterre.
Le Chelsea de Mourinho, passé ou présent, a un style indéfinissable, haché, sans grâce.
Arsène Wenger a la classe de Claude Habib. Mourinho méprise la classe, mais il gagne et n’a pas de scrupules.
Pendant que Mourinho lève des trophées, en insultant les autres, Arsène Wenger prend le thé avec Claude Habib.

Défier Dieu et perdre
Nous ne voudrions pas laisser nos lecteurs sur une impression fausse : les voyous (Mourinho, Sartre), seraient toujours des winners et les gens bien (Wenger, Aron), des losers. Nous aimons trop les losers, magnifiques, désespérés et désespérants, pour les laisser du côté du bien.
Heureusement, un film italien, un chef d’œuvre, La grande belezza de Paolo Sorrentino, nous montre que l’on peut vivre à la marge, en provocateur, comme Pascal Bruckner, José Mourinho ou Serge Gainsbourg, et être, contrairement à eux, un loser magnifique, exactement comme les bons élèves Arsène Wenger et Claude Habib.
Le journaliste cynique de La grande belezza (interprété par le parfait Toni Servillo), promène son ennui dans une Rome qui n’a jamais été mieux filmée, dans les fêtes décadentes de la bonne société. Il tombe amoureux d’une femme immédiatement atteinte du cancer. Il n’essaie même plus d’écrire d’œuvre tant le monde lui paraît ne pas mériter sa prose jadis reconnue.
Il est l’archétype du modèle à suivre : perdre tout en tirant la langue au monde.
Il fallait que cela fût dit pour ne pas terminer ce post sur une note négative.
*Je prie M. Bruckner de m’excuser de cette extrême simplification de sa pensée complexe. Les lecteurs pourront lire ses essais « Le paradoxe amoureux » ou « Le mariage d’amour a-t-il échoué ».
** Romans de Pascal Bruckner
il ne faut pas oublier de préciser qu’après quatre mois de fréquentation, le 14 octobre 1929, Simone de Beauvoir renonce à sa virginité. Jean-Paul Sartre et elle concluent alors un accord: pas de mariage, pas de vie commune, pas d’enfant. Ils ne doivent pas être distraits de leurs destins de « grand écrivain ». En outre, Sartre éprouve du dégoût pour les femmes enceintes et les bébés. Ils jurent de tout se dire.
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