Spécialistes ou imposteurs ?

Les chaines de sport sont de plus en plus nombreuses, mais leur accès aux images est limité. On voit donc se multiplier les « plateaux » qui proposent à des spécialistes, ou réputés tels, de gloser sur les matchs passés ou à venir.

Parmi ces « spécialistes » (certains osent même le terme « experts »), rares sont ceux dont le discours prend un peu de hauteur ou qui proposent une analyse d’un quelconque intérêt. Beaucoup n’ont en fait rien à dire. Certains choisissent de le dire quand même, tandis que d’autres vont se réfugier dans une posture, et produire un discours très typé pour se fabriquer finalement un personnage.

Parmi ceux qui n’ont rien à dire mais le disent quand même figurent de nombreux anciens joueurs de haut niveau. Nous ne dirons pas de nom ici, mais on peut avoir été un excellent footballeur, buteur prolifique ou milieu créatif, et ne rien trouver d’autre à dire après le match retour Réal – Dortmund que de profondes banalités. Personne n’oserait prendre le micro pour énoncer que « Si le Réal avait marqué plus tôt le match aurait été différent » ou « Sur l’ensemble des deux matchs Dortmund mérite sa qualification ». Mais venant d’un des meilleurs internationaux de notre histoire, c’est différent. Toute notre admiration au passage pour le présentateur dont la gourmandise semble authentique lorsqu’il sollicite ces stars et recueille leurs maigres propos. Est-il animé par une foi sincère qui lui masque le creux de ces paroles sacrées ? Nous croyons plutôt que sa dévotion est simulée, et qu’il veut nous faire prendre pour paroles d’évangiles ces tristes platitudes.

Jacques de La Palice a écrit :
« Il mourut le vendredi
Le dernier jour de son âge
S’il fût mort le samedi
Il eût vécu davantage ».
Certains internationaux ne nous en apprennent pas beaucoup plus.

Cette admiration forcée est plus frappante s’agissant de journalistes femmes. L’une des plus charmantes couve ainsi d’un regard intense les anciennes gloires qu’elle interroge, et, sauf le respect que nous lui devons, nous avons parfois l’impression d’être de trop dans leur relation. Et ce même si l’ancienne star n’a rien de génial à dire, puisqu’il est maintenant établi que l’on peut être un artiste du ballon rond et manquer d’à propos.

Attention toutefois à ne pas mettre tous les anciens footballeurs dans le même panier. Certains produisent un discours beaucoup plus riche, tranché et argumenté, et ils apportent beaucoup à nos soirées du dimanche.

A côté de ces spécialistes dont l’expertise est certifiée par une carrière internationale, figurent des journalistes, dont le passé sportif est moins évident. Certains vont remplacer leur manque d’expérience pratique par un savoir encyclopédique artificiel auquel ils vont donner une dimension statistique dans un but prédictif. Je m’explique. Thierry Rolland était capable, lors de la victoire de la France contre l’Azerbaidjan 10 à 0 (6 septembre 1995) de nous dire de mémoire à quand remontait une victoire d’une ampleur comparable, plus de 35 ans auparavant. Et nous l’aimions aussi pour ce genre de connaissance (que tout le monde ne qualifierait pas d’encyclopédique).

Le regretté Thierry Roland n’est jamais sorti de son rôle de commentateur et n’a jamais prétendu au titre d’expert.

Rien de tel avec nos donneurs de leçon modernes dont le savoir est alimenté par internet comme placé sous perfusion.

Après les victoires allemandes des matchs aller de la Champions League, leur analyse se bornera à aligner les statistiques sans même réfléchir à leur cohérence. Ils nous diront ainsi qu’en telle année (1972, 1985 ou 2001) le Réal a remonté un retard de 3, 4 ou 5 buts, contre telle ou telle équipe. Mais que Dortmund n’a jamais encaissé 3 buts dans un match cette année (j’invente à moitié). Autant d’informations qui n’ont aucun intérêt (mis à part de suggérer que le « spécialiste » mérite ce titre par sa profonde connaissance de l’histoire de football). Quel rapport entre le Réal de 1985 et celui d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui relie cette information à la question du jour ? Rien à part que les joueurs portaient le même maillot. C’est maigre. Quant aux matchs disputés par Dortmund cette année, ni leur importance ni les circonstances, ni surtout l’adversaire, ne s’approchent du cas dont il est question. Les informations que l’on nous prodigue d’un air docte, avec le regard entendu de celui qui ne doute pas d’apporter enfin la lumière, n’ont aucun intérêt. Tout cela est en fait proche de l’astrologie, de la voyance. On appuie sa prévision sur des faits qui n’ont aucun impact sur l’avenir, qui ne sont en rien déterministes.

De manière presque systématique, les commentaires des matchs sont maintenant accompagnés d’informations qui prétendent avoir une valeur statistique. Ainsi nous serons heureux d’apprendre que depuis le début du championnat, à chaque fois que telle équipe a pris un but à domicile en première mi-temps, elle n’a pas gagné. Sans qu’on nous dise même combien de fois s’est produite cette configuration : peut-être essaye-t-on de nous faire avaler comme une vérité établie par l’expérience un constat assis sur deux pauvres résultats. Les astrologues ne font pas autre chose, en prétendant trouver un lien de cause à effet entre des configurations cosmiques et des événements ponctuels ou des comportements individuels.

Les Nostradamus modernes prétendent voir l’avenir d’un match dans la répétition de configurations déjà rencontrées. Cette conviction d’une histoire qui ne ferait que se répéter leur tient lieu d’analyse.

Autre figure courante chez ces « spécialistes » en quête de légitimité (ces personnages en quête de hauteur), la critique systématique, voire la méchanceté. Ceux qui opèrent en public, et qui ont réussi à se faire une petite réputation, vont ainsi faire rire aux dépens du joueur ou de l’entraîneur de leur choix, sur la base de mots d’esprit qui n’ont évidemment rien à voir avec la valeur du sportif mis au pilori. La performance de tel joueur sera ainsi jugée sans appel après une analyse aussi fine que « A la fois, s’il était d’un niveau international, ça se saurait ». Et la valeur de tel entraineur sera établie une fois pour toute grâce à une argumentation aussi poussée que « On m’enlèvera pas de l’idée que s’il savait entrainer il serait ailleurs qu’à Ajaccio (ou Troyes ou Nancy) ». Ce genre de personnage ne développe qu’un discours négatif, dans lequel il critiquera tout et son contraire. D’une même équipe il pourra dire un jour « C’est bien beau de produire du jeu mais si c’est pour perdre tous les week-end c’est un peu dommage », et la semaine suivante « Ok, ils ont encore gagné, mais qu’est ce qu’on s’est emmerdés ! ».

Ces langues de vipère sont précieuses pour animer un plateau qui sommeillerait facilement, mais elles ne relèvent pas le niveau du débat. Elles n’apportent rien à l’amateur de football, et ravalent les émissions sportives au niveau des talk-shows le plus creux. Nous prétendons montrer chez Panthéon Foot qu’un autre discours est possible.

4 commentaires

  1. Vraiment je croyais être le seul à le penser des journalistes de Canal+ qui ont fait des émules en Afrique : le virus contamine toujours,merci pour cette piqure …

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    1. @mahdi : Je pense que nous sommes assez nombreux à penser un peu la même chose. Et il ne s’agit pas que de Canal+, d’autres chaînes de sport sont aussi touchées par ce virus.
      Merci de votre message.

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  2. Malheureusement, la pauvreté des débat est aussi proche du niveau du jeu…
    Ceci dit, c’est clair, pour avoir été une fois en plateau télé, lors de la diffusion d’un match, la plupart des présentateur ne se donnent même pas la peine de regarder l’intégralité de la rencontre. Si ça c’est des spécialiste…

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