On dit que la vérité sort de la bouche des enfants, mais les chauffeurs de taxi aussi disent parfois des choses intéressantes. Surtout quand ils sont concentrés sur la conduite, et que donc leurs propos sont spontanés comme parfois ceux des enfants.
Je monte ce matin dans un taxi, et j’oublie bêtement de faire croire au chauffeur que je ne parle pas français. Je me trouve donc très vite embarqué dans une conversation sur les joueurs de l’Equipe de France malpolis et trop payés. Il a cette phrase : « Ca ne profite à personne ces histoires ». A quoi je réponds : « Sauf aux journalistes ». Et je complète en précisant qu’ils vendent plus de papiers avec « ces histoires ». Il me répond que les journalistes préfèreraient parler de choses plus agréables, de victoires de l’Equipe de France, mais je n’ai pas de mal à lui faire admettre qu’une fois que nous sommes éliminés ils n’ont plus ce choix. Et, concentré (enfin) sur la conduite, il en vient même à reconnaître que le sordide fait vendre au moins autant qu’une qualification pour les demi-finales de l’Euro.
Certes, nous sommes tous d’accord pour dire que Nasri et d’autres ont eu un comportement indigne. Je ne les défends pas. Mais ils ne sont pas les seuls responsables de ces affaires, et comme dit une philosophe de mes amies : « Il faut être deux pour danser le tango ».
On peut toujours reprocher à un imbécile de se comporter comme un imbécile, mais on pourrait aussi demander aux plus malins de ne pas mettre de l’huile sur le feu.
Les plus malins, je veux dire ces intervenants responsables et clairvoyants, en charge d’observer et d’analyser les événements sportifs pour mieux nous les faire connaître. Les journalistes donc. Nous le disions déjà dans le billet « Nasri : à qui profite l’affaire ? », mais les choses sont encore plus claires depuis qu’un journaliste de l’AFP a, selon ses propres collègues été le premier à franchir la « ligne jaune » dans ses échanges avec Nasri après la défaite contre l’Espagne. Devant le refus de Nasri de répondre à ses questions dans la « zone mixte », il lui a lancé un « casse-toi » auquel le joueur n’a pas eu le bon goût de répondre courtoisement. Par bonheur le nom de ce journaliste ne s’étale pas en une des journaux, sa famille et ses amis ne le voient donc pas accusé publiquement d’être un malpoli. Il n’est pas la risée des animateurs radio. Et c’est tant mieux pour lui.
Pour revenir à mon chauffeur de taxi, il est bien sympathique mais je n’ai pas réellement envie de converser. Seul moyen de mettre fin rapidement et sans inélégance à cette discussion : lancer un sujet creux (je donne ce truc, utilisable aussi en soirée, il est excellent). Je lui demande donc : « Et l’arbitrage, vous en pensez quoi ? ». Il réfléchit et me répond : « Rien ».
Victoire.
Je ne suis pas surpris de sa réponse. Victime de la pensée unique Déterministe, et visiblement encore un des rares à ne pas fréquenter Panthéon-Foot, il n’est pas conscient qu’après un début de compétition tristement calme sur le front des erreurs d’arbitrage, les choses se sont arrangées ces derniers jours. Ainsi du match Italie Angleterre, que les Anglais auraient remporté avec un arbitrage un peu différent (ou disons l’application même par intermittences d’une ou deux lois du jeu dans la surface de réparation italienne). De même, la présence d’un arbitre sur la pelouse pendant la première mi-temps de Portugal – Espagne aurait sans doute influé sur l’issue du match (visiblement un plaisantin s’est substitué à l’arbitre au coup d’envoi, la supercherie a rapidement été découverte mais l’UEFA n’a pas voulu le révéler (toujours l’école Déterministe). Des rudiments ont été rapidement inculqués à l’usurpateur pendant la pause, et un sifflet lui a été fourni. Grâce à quoi il a pu se montrer quasiment à la hauteur de ses homologues officiels pour la suite du match).

L’arbitre a donc repris sa place de décisionnaire dans le résultat du match.
Mais la propagande déterministe continue à nous le dissimuler, et j’en ai une preuve supplémentaire, toujours dans mon taxi, avec l’émission de radio sur laquelle se branche mon aimable chauffeur après la fin de notre conversation.
Contre toute logique, pour essayer de prévoir le résultat du match du soir, les « spécialistes » au micro échangent des considérations savantes sur les joueurs ou l’organisation des deux équipes, mais absolument aucune sur l’arbitre. Ils sont capables de parler longuement, après le match, de ses erreurs, mais la personnalité de l’arbitre est totalement absente de leurs réflexions avant le match. Une absurdité de plus au passif des Déterministes.
S’agissant par exemple du match Italie-Allemagne, les débats sont nourris d’analyses savantes du genre « Le jeu des Italiens est plus créatif, mais les Allemande sont plus solides « , ou « Seul Buitoni peut contrer Schwartzkopf mais il est blessé » (les noms ont été changés). Alors que les seules discussions sensées devraient être à peu près : « L’arbitre Finlandais, Manolo Gonzalez (toujours lui) a laissé passer trois pénaltys évidents dans la compétition. C’est nettement moins que la moyenne. On peut donc espérer qu’il sanctionne convenablement au moins une des fautes que Belloragazzo ne manquera pas de commettre contre Schleswigholstein. » Ou bien : « L’arbitre assistant est un corrompu avéré, Chivapianovasano se fera couper en deux par Einekleinenachtmusik sans problème. »
Voilà qui donnerait un tour nouveau aux débats d’avant-match, et on y traiterait enfin d’éléments réellement décisifs du résultat final.
Mon chauffeur profite alors de la page de publicité pour me solliciter de nouveau, et dans un langage sommaire il tient des propos que ne renierait pas un Agnostique Stochastique (AS) : « Tout ça c’est des conneries. On peut jamais rien prévoir. C’est l’football. ». Cette sagesse m’interpelle. Je le relance : « Vous pensez que de toute façon c’est aléatoire ? Et qu’à partir d’un certain niveau la valeur des équipes n’a qu’une influence marginale sur le résultat ? ». Dans le schisme qui s’annonce avec l’école Contraposée des Déterministes (CD), j’ai peut-être là une recrue précieuse. Justement il me répond : « On peut le dire comme ça, oui ». Mais il ajoute : « Sauf que non. Pas tout à fait. Y a quand même un truc net : la chance tombe toujours du mauvais côté ». Zut, c’est pas gagné. Aurais-je affaire à un Benlosamiste ?
Et il complète : « Regardez tous les vrais scandales de l’Histoire du foot, ils ont toujours favorisé les mauvais, les violents, jamais le beau jeu ». Et il commence à me sortir des références historiques précises. C’est sûr, c’en est un ! C’est un adepte de la théorie CD ! Intrigué je le regarde dans le rétroviseur, et là, stupéfaction, c’est Benlosam lui-même ! Je pousse un cri d’effroi, il se retourne : c’est bien lui, mais il a la coiffure de Chris Waddle. Il me sourit, tout content du mauvais tour qu’il vient de me jouer. Mais il ne regarde plus la route, il ne voit pas le virage, et nous allons percuter un kiosque à journaux tenu par Pierre Menes.
Et là je me suis réveillé.

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