Plaidoyer pour l’introduction immédiate du Tie-Break au football, lettre imaginaire d’André Glucksman

Nous aurions tellement aimé qu’André Glucksman écrive vraiment la lettre ci-dessous!

Lettre ouverte à François Hollande, Sepp Blatter, Michel Platini, Bixente Lizarazu et Alain Chabat, par André Glucksmann.

Messieurs les Présidents, Monsieur le Champion du Monde, Champion d’Europe et Champion de Surf, M. Alain Chabat,

Vous représentez les autorités politiques ou morales du football mondial, ou bien, comme M. Chabat, vous n’avez aucun lien avec le sujet, mais connaissez peut-être des gens que cela peut intéresser.

Alors que la phase de matchs à élimination directe, avec prolongations et tirs aux buts, commence, il me faut parler d’un scandale moral sans équivalent, à côté duquel l’écrasement de la Tchétchénie par les fascistes au pouvoir à Moscou ne mérite même pas une ligne de ma plume : je veux parler bien entendu du scandale de la séance des tirs aux buts.

La méthode de désignation du vainqueur par le système actuel de tirs aux buts souffre d’un aléa moral énorme : l’équipe qui gagne le tirage au sort et choisit de tirer en premier est incroyablement favorisée.

Lors de la coupe du monde 2006, quatre rencontres se sont terminées aux tirs aux buts (Ukraine-Suisse, Allemagne-Argentine, Portugal-Angleterre et Italie-France). Les quatre fois, l’équipe qui a tiré en premier a gagné. L’Italie a battu la France et est devenue championne du monde parce qu’elle a tiré en premier, alors qu’en 1998, la France éliminait l’Italie en quarts en tirant en premier.

Dans un article célèbre publié par la Harvard Review of Scientific Football, le Professeur Lévy (1) a démontré que lors des mondiaux 2006, 2002 et 1998, sur les dix matchs disputés aux tirs aux buts, neuf s’étaient soldés par la victoire de l’équipe tirant en premier. Je n’entre pas dans les détails complexes, mais sachez qu’un calcul statistique établit à 90%, pour cet échantillon, le pourcentage de victoires, parmi les équipes qui tirent en premier. De même le Professeur Lévy et son équipe ont démontré que sur les onze dernières finales de coupe d’Europe disputées aux tirs aux buts, de 1991 à 2012, 7 ont été remportées par l’équipe qui tirait en premier, soit un pourcentage de 64%.

Et oui, en 1991, Marseille a perdu contre l’Etoile Rouge de Belgrade, non pas parce que Tapie avait oublié de payer l’arbitre et les joueurs adverses, comme la science footballistique le pensait jusque là, mais parce que Marseille tirait les pénaltys en second.

Dans la mesure où l’on réussit plus souvent un pénalty qu’on ne le rate, le fait de commencer à tirer donne un avantage important, puisque l’autre équipe subit une énorme pression négative, marquer pour rester dans le match. Il est donc absolument urgent de changer les règles pour adopter une méthode qui ne soit pas presque entièrement dépendante du tirage au sort.

Les réactions de l’opinion publique mondiale – médias, diplomates, autorités morales et politiques – semblent malheureusement en retard sur l’évolution des esprits directement concernés. Force est de relever l’expression qui fait florès et bétonne une inconditionnalité du troisième type, laquelle condamne urbi et orbi tout changement, « c’est l’football ». Un consensus universel et immédiat sous-titre les images de ces tireurs de pénalty en second qui pleurent : « c’est l’football ». A l’occasion, reportages et commentaires en rajoutent : « victoire méritée », « on le sentait venir ». Par bonheur, on évite à ce jour le vocable douloureux « défaite bien méritée, nanananère ». Le souvenir du massacre de Séville (Battiston hospitalisé 6 mois après le 8 juillet 1982, et son agression par l’ignoble Schumacher, lors de la demi-finale France-Allemagne), paralyserait-il encore l’excès de l’excès ? Néanmoins la condamnation, a priori, inconditionnelle, de l’équipe qui perd en tirant en second régule le flot des réflexions.

Est-il moral de, condamner quelqu’un parce qu’il a perdu au tirage au sort ?

Le tennis, qui est, selon Louis Nicollin, un sport de gonzesses où les joueurs ont tellement peur qu’un contact physique révèle leur penchants refoulés qu’ils restent de chaque côté d’un filet, a résolu le problème depuis longtemps : au tie break, le premier joueur sert une fois, puis chaque joueur sert deux fois, de sorte que chaque joueur a un service d’avance à tour de rôle. Cela supprime l’inconvénient d’avoir un joueur avantagé avec toujours un service d’avance. Et le vainqueur doit bien entendu avoir au moins deux points d’écart pour gagner à partir de sept points, puisqu’avec un seul point, on aurait un joueur ayant servi une fois de plus (2).

Je propose donc solennellement la mise en place d’un tie break au football.

La première équipe tire un pénalty, puis chaque équipe tire deux pénaltys. La première équipe ayant marqué au moins 4 fois avec deux buts d’écart a gagné.

Cette solution peut se mettre en place très rapidement et avec un coût extrêmement réduit : un groupe d’experts, dirigé par Jacques Attali, évalue le temps de mise en place à moins d’une seconde, et son coût à un montant proche de rien du tout.

Ce tie break supprimerait l’aléa lié au tirage au sort, et redonnerait un vrai sens à la victoire : l’équipe victorieuse serait simplement la plus habile dans l’exercice des pénaltys, ou celle qui a payé l’arbitre le plus cher. L’expression « c’est l’football » retrouverait enfin ses lettres de noblesses.

Il est temps d’introduire le tie break dans le football. Maintenant. On a trop attendu. Pour que demain on ne puisse pas dire « je ne savais pas ».

André Glucksmann

 

(1): Professeur Lévy, « Tirer les pénaltys en premier, ontologie d’une injustice », janvier 2012, Harvard Review of Scientific Football.

 

(2) Notons que même au tennis, l’avantage de celui qui sert en premier existe de 4-4 à 6-6 dans les quatre premiers sets, et à partir de 4-4 dans le cinquième set de Roland Garros ou Wimbledon, où le tie break est interdit. Sur herbe, le service est un avantage encore plus important : cet avantage est donc énorme à Wimbledon, où l’on voit rarement gagner le serveur en second du cinquième set. Federer servait en premier lorsqu’il a battu Roddick 16 jeux à 14, au cinquième set, dans la finale de 2009. Et en 2010, dans le match le plus extraordinaire de l’histoire du tennis, Nicolas Mahut, qui servait en second, a quand même perdu contre Isner, 70 jeux à 68. Il a servi 65 fois de suite pour rester dans le match, chaque balle de break était une balle de match, ce qui n’était pas le cas de son adversaire, pour finalement s’incliner seulement la 65ème fois, ce qui est monstrueux, héroïque, inhumain, exceptionnel ; mais il a quand même perdu. Le même Isner a perdu contre Mathieu cette année à Roland Garros 18 jeux à 16 au cinquième set : cette fois Roddick servait en second.

 

2 commentaires

  1. « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus, et il s’y connaissait sérieusement en foot. La vérité sur le biais décisif que représente dans la séance des tirs au but le fait de tirer en premier, a été énoncée pour la première fois par le Professeur Fitoussi.

    Ce principe est donc connu dans le monde scientifique du football comme l’Axiome de Fitoussi. Rendons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

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