A l’occasion de Coupe du Monde, et des différents matchs qui se sont joués aux tirs aux buts, de nombreux commentaires ont circulé sur l’avantage qu’il y aurait à être l’équipe qui tire en premier, ou au contraire en second.
Nous nous devons d’être à la hauteur de notre réputation de sérieux et de l’exigence intellectuelle qui a fait notre célébrité. Nous avons donc mené une véritable étude sur le sujet.
Nous disposons d’une base de données de 76 matchs qui se sont terminés par les tirs aux buts. Il s’agit de matchs opposant des équipes nationales (Coupe du Monde, Championnat d’Europe, Coupe d’Afrique, Copa America) ou de clubs (Champions League – précédemment Coupe des Champions, Coupe des vainqueurs de Coupe, Europa League – Coupe de l’UEFA). Pour les compétitions de clubs nous avons privilégié les finales, qui se jouent sur terrain neutre.
On peut assez facilement trouver un plus grand nombre de matchs dont l’issue s’est décidée ainsi. Mais il est beaucoup plus difficile de savoir qui tirait en premier. Nous ne nous sommes appuyés que sur des matchs pour lesquels nous avions cette information avec certitude, ce qui réduit le champ des observations pertinentes (voir la note méthodologique en fin d’article).
La conclusion est la suivante : pour 45 de ces 76 matchs (soit presque 60%) c’est la première équipe qui tirait qui a gagné.
Les sceptiques trouveront que 60% c’est loin de 100%. Certes, et personne n’a jamais prétendu que tirer en premier donnait la victoire à tous les coups. Mais un regard plus rigoureux notera que 60% c’est nettement supérieur à 50%, et surtout très significativement supérieur à 40%. Car c’est bien cette comparaison qui importe : le pourcentage de chances pour l’équipe qui tire en premier (60%) par rapport au pourcentage pour celle qui tire en deuxième (40%).
Clairement il n’y a pas photo.
D’où le principe dit de Benlosam (ci-après « Le Principe ») suivant lequel celui qui tire en premier est nettement favorisé.
Mais nous avons voulu aller plus loin que ce constat statistique. Dans le prolongement de la Coupe du Monde nous avons étudié les résultats des différents pays dans cette épreuve. Nous avons regardé sur ces matchs quels pays gagnaient plus souvent que les autres, et surtout pourquoi : sont-ils indifférents au Principe quand ils tirent en 2ème ? Tirent-ils plus souvent en 1er ?
Le premier résultat confortera l’intuition de ceux qui ont vu Séville 1982 : le pays qui obtient le plus fort taux de réussite est l’Allemagne, avec 83%. Leur taux de réussite est de 100% quand ils tirent en 1er et de 75% en 2ème. Autrement dit ils gagnent à peu près toujours, la seule défaite que nous avons répertoriée est la finale de l’Euro 76 contre la Tchécoslovaquie (séance de tirs au but mythique avec Augustin Panenka en dernier tireur, qui bat Sepp Maïer et les champions du monde allemands avec ce geste de malade mental auquel il donnera son nom).

Vient ensuite la Croatie avec un taux de réussite global de 80%. Leur taux de réussite en 1er n’est que de 50%, mais il est de 100% en 2ème. On peut supposer que leur mentalité guerrière et balkanique décuple leur efficacité quand ils sont dos au mur, c’est-à-dire quand ils tirent en 2ème, alors que leur taux de réussite est banalement ordinaire lorsqu’ils tirent en 1eret donc sans ce supplément de pression.
L’Argentine affiche un taux de réussite de 67% au global, avec un taux de réussite en 2ème qui est de 60%, nous avons pu l’éprouver récemment. Ils sont tout simplement plus efficaces que la moyenne dans cette épreuve, qu’ils tirent en 1er ou en 2ème.
Certains pays sont très sensibles au Principe. C’est le cas de l’Italie et de l’Espagne. Leur taux de réussite en 1er(respectivement 71% et 75%) est très élevé et surtout leur taux de réussite en 2ème extrêmement faible (0% et 20%). Mais l’Italie, qui rate donc toujours en 2ème (sur le peu d’observations dont nous disposons, voir la note méthodologique) compense ce handicap par une chance étonnante : dans 78% des cas ils tirent en 1er.
Nous ne sommes pas surpris de constater que le Principe s’applique pareillement à ces deux peuples dont les modes de vie et les mentalités sont similaires. Quel aspect de ces modes de vie et de ces mentalités les rend si sensibles aux aspects psychologiques qui sous-tendent l’efficacité du Principe, voilà qui reste à définir. Par ailleurs faut-il être surpris de voir les Italiens remporter si souvent le tirage au sort ? Voilà aussi une question qui reste posée.
Venons maintenant aux traditionnels vaincus de ces cruelles séances, avec la France et la Hollande. Ces perdants parfois magnifiques affichent des taux de réussite globaux de respectivement 38% et 29%, ce qui frôle le ridicule. De manière tout à fait étonnante, ils ne semblent pas spécifiquement défavorisés quand ils tirent en deuxième (50% de taux de réussite pour les deux) mais ils perdent presque toujours quand ils tirent en premier (25% de taux de réussite pour le France, 0% pour la Hollande).
Ils sont donc en totale contradiction avec le Principe, et si je l’avais su plus tôt je ne me serais pas réjoui que Lloris ait gagné le tirage au sort et qu’il ait choisi de tirer en premier. Il aurait dû choisir de tirer en deuxième, cette mauvaise décision ajoute encore à son inefficacité dans cette funeste séance.
C’est moins connu mais les anglais sont encore plus mauvais que nous dans cette épreuve avec un taux de réussite global de 25%. Comme la France et la Hollande ils semblent défavorisés par le fait de tirer en 1er (33% de taux de réussite) mais leur cas est aggravé par le fait qu’ils sont encore plus mauvais quand ils tirent en 2ème (20% de taux de réussite) et qu’ils tirent souvent en 2ème (dans 62% des cas). Malchance et maladresse sont donc au rendez-vous pour placer nos amis d’outre-Manche derrière nous et c’est bien la seule bonne nouvelle de cette étude.
Note méthodologique
La nécessite de disposer d’informations fiables sur l’ordre des tireurs réduit le nombre d’observations utilisables pour notre étude. Les pays pour lesquels nous avons le plus grand nombre d’observations sont l’Italie et l’Espagne (9 chacun), et nous descendons jusqu’à 5 pour d’autres pays (nous n’avons pas considéré les pays pour lesquels nous avons moins que cela, il y a des limites à tout). Si un lecteur un peu sérieux lit ces lignes il pourra donc légitimement considérer que cette étude manque un peu de profondeur.
Mais on fait avec ce qu’on a.