L’élimination contre la Suisse est un cataclysme, la plupart des commentateurs veulent donc lui trouver des causes spectaculaires et tranchées, à la hauteur de l’événement (Deschamps est devenu mauvais, Pogba était nonchalant, Mbappé a le melon …). Or même une catastrophe de ce type peut avoir pour origine une série d’événements relativement anodins. Il faut bien s’y résoudre, ce sont des circonstances presque banales (et évidement une bonne équipe suisse) qui ont eu raison de nos Bleus.
Reprenons les explications les plus fréquemment avancées, reprises à l’envie par ceux qui veulent frapper les esprits par un discours fort. Elles ne résistent pas à un examen sérieux.
Non, Deschamps n’est pas devenu nul. Certes il a changé de disposition tactique au cours du match, mais ces changements lui ont permis de retourner la situation. Il a eu le grand mérite de reconnaître (au sens d’identifier) son erreur initiale et de modifier son dispositif. Comme à la mi-temps contre l’Irlande en 2016. Les deux derniers buts des Suisses ont d’autres origines que ces changements tactiques, nous y reviendrons.
Non, Pogba n’était pas nonchalant. Oui, il a perdu le ballon avant le troisième but suisse. Mais cette perte de balle n’a rien à voir avec une quelconque nonchalance. Lorsqu’il reçoit le ballon il est cerné par trois adversaires, il entame un mouvement pour leur échapper et vient alors se heurter à un quatrième qui arrive dans son dos et lui prend le ballon. C’est donc une perte de balle assez ordinaire, liée à un bon pressing suisse et non pas à un comportement fantaisiste de sa part.
Ajoutons que les pertes de balle de ce type, dans le rond central, sont légion pendant un match. Le fait que celle-ci ait été suivie d’un but ne rend pas Pogba plus coupable que d’autres joueurs sur d’autres pertes de balle qui n’ont pas eu cette suite fatale. N’oublions pas enfin qu’il a marqué un but sublime et donné plusieurs passes magiques qui auraient été autant de passes décisives si nos attaquants avaient été plus en réussite.
Non, Mbappé n’a pas été mauvais. Certes il a raté un tir au but décisif. Comme avant lui Platini, Maradona ou Socrates. Certes il n’a pas marqué. Mais il est à l’origine des deux premiers buts, du premier but contre le Portugal, et il a délivré à Benzema plusieurs très bonnes passes qui auraient pu être décisives. Oui, il aurait pu mieux faire, mais on ne peut pas parler de faillite le concernant.

Ces explications qui se veulent tranchées sont en fait simplistes.
La vérité est sans doute plus compliquée et moins spectaculaire.
Une première explication peut être trouvée dans le calendrier. La saison a été longue, les joueurs sont fatigués et le nombre des joueurs blessés en témoigne. Dans ce contexte le temps de récupération est un élément essentiel. Or la France avait joué le 23 juin, la Suisse le 20 juin. 5 jours de récupération pour nous, 8 jours pour eux. Cette différence est considérable, il est certain que cela a joué sur la forme des joueurs pendant le match.
Ajoutons que le parcours en poule de la France a été particulièrement difficile. On l’a dit, cette poule avec le Champion du Monde, le Champion d’Europe et l’Allemagne était une absurdité. Un autre élément n’a pas été relevé : la France a affronté l’Allemagne à Munich et la Hongrie à Budapest. Habituellement l’Euro se déroule dans un pays. Une équipe qui affronte le pays hôte joue donc à l’extérieur, c’est ainsi. Mais une équipe ne peut subir ce désavantage qu’une fois en principe. Nous l’avons subi deux fois, contre l’Allemagne et contre la Hongrie. Jouer deux fois à l’extérieur pendant la poule est une exception qui a rendu notre parcours encore plus difficile.
Terminons par le plus important : l’état de forme des joueurs. Parmi les 26 joueurs figuraient deux des meilleurs arrières gauches du monde : Lucas Hernandez et Lucas Digne. Malheureusement ils étaient tous les deux blessés pour ce match. Rabiot a fait un bon match en tant qu’arrière gauche mais il lui manquait les réflexes adaptés à ce poste.
Sur le deuxième but suisse, le centre vient du côté droit de l’attaque suisse, côté gauche de notre défense. Rabiot n’est pas bien placé, il est dans la surface et c’est le seule Kingsley Coman qui doit tout seul faire face à deux attaquants. Il n’y arrive pas d’où ce centre parfait. On peut supposer que ni Lucas Hernandez ni Lucas Digne n’auraient commis cette erreur de placement.
Globalement les autres défenseurs n’étaient pas non plus rayonnants. Pavard était en difficulté pendant toute la compétition et Varane comme Kimpembe ont alterné le bon et le moins bon. Le moins bon pour Kimpembe sur le dernier but suisse où il se fait complètement embarquer par le crochet de son adversaire. Tous ces joueurs n’étaient peut-être pas à leur meilleure forme au début de la compétition, mais les vicissitudes des matchs de poule ont sans doute contribué à les rendre moins bons. Trois jours de repos de plus auraient peut être suffi. Des matchs moins disputés en poule auraient aidé.
Nous savons que les différences de niveau entre les équipes nationales se sont réduites depuis que des joueurs de toutes nationalités peuvent jouer dans les plus grands championnats. Il n’y a donc pas un écart monumental entre l’équipe de France, toute Championne du Monde qu’elle soit, et la Suisse, bien qu’elle n’ait jamais fait de grand parcours dans les grandes compétitions. C’est pourquoi, même si les éléments ci-dessus peuvent sembler des détails, leur impact a pu être décisif.
Oui, cette défaite est bien un cataclysme tant nous espérions beaucoup de cette équipe. Mais c’est un cataclysme dans ses conséquences, non pas dans ses causes. Ses causes sont probablement multiples et presque banales.
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