Plaignons cette grande majorité de français qui n’aiment pas le football, qui s’en moquent même, qui pensent que c’est idiot, que ça ne sert à rien, qu’il faut être stupide ou immature pour attacher de l’importance à vingt-deux types qui courent après un ballon.
Les pauvres, ne se rendent pas compte que RIEN ne sert à rien dans la vie, et d’abord la vie elle-même.
Ce qui leur semble essentiel à eux, -la course à l’argent, la course au pouvoir, la course à la notoriété sociale-, c’est l’utile, le nécessaire, l’obligatoire, le non choisi, en somme. Le football, c’est au contraire l’inutile, l’insignifiant, le sel, la passion, en un mot : la beauté, puisque la beauté, on ne la trouve, évidemment, que dans les passions inutiles et désintéressées.
Vive le football, vive le superflu, vive l’émotion déraisonnable.
Ce matin, j’ai la gorge serrée et les larmes au bord des yeux. Car demain c’est France Argentine.
Merci mon Dieu pour cette affiche splendide, une fois encore dans ma vie, quarante ans après.
France-Argentine.
Quel bonheur. Un France Argentine en coupe du monde, le premier depuis 1978, depuis Luque, Kempès, Marius Trésor, Didier Six, Gérard Janvion, Bertrand-Demanes et Baratelli.
La plupart d’entre nous serons morts pour le prochain.
Ô comme je plains tous ceux qui ne comprennent pas la beauté du football.
Par beauté je ne parle pas uniquement de gestes magiques, comme ce double contrôle en mouvement de Messi, mardi soir contre le Nigéria, qui s’apparentait à du ballet, non, je parle de l’émotion, de l’intensité émotionnelle incroyable d’une coupe du monde, à peu près partout dans le monde sauf en France, -qui n’est pas un pays de football. Cette émotion individuelle et collective qui étreint les millions de mexicains qui apprennent, tous en même temps, que leur équipe, pourtant battue par la Suède, est qualifiée, puisque les coréens ont marqué contre l’Allemagne.
Mais je parle aussi du jeu, de la partie d’échec, que la France a livrée aux danois mardi, en obtenant ce qu’elle était venue chercher, la première place du groupe et le repos de ses meilleurs joueurs.
Grâce à cette bataille tactique, les bleus ont gagné le droit d’affronter l’Argentine avec toutes leurs forces.
L’Argentine, double championne du monde, le deuxième pays du football. L’Argentine de Maradona, le monstre dans tous les sens du terme, que j’ai qualifié de joueur le plus surestimé de tous les temps, car je ne l’aime pas, dans mon post le plus lu en dix ans. Le pays de Lionel Messi, ce génie, le plus grand joueur de tous les temps, sans doute. Le pays qui remplit les stades de passionnés, ces dizaines de milliers de supporters qui, après le but du Nigéria, qui éliminait virtuellement leur équipe, se sont immédiatement mis à chanter leur amour de l’Argentine, et ont porté leurs joueurs jusqu’au but de la qualification. Le pays du beau maillot bleu ciel et blanc à rayures.
La France, ce pays magnifique, champion du monde une fois, qui a donné de grands footballeurs qui ont révolutionné le jeu et le style. Le pays de Platini et Zidane. La France, ce pays où il est de bon ton de se moquer de notre passion du ballon rond. Ce pays qui a, et de loin, les moins nombreux et les plus mauvais supporters au monde. Ce pays dont l’équipe joue toujours à l’extérieur. Le stade était entièrement australien, lors du premier match (australien!), puis péruvien, puis danois, et, samedi, le stade sera entièrement argentin. Car les français revendent leurs billets, et sifflent, oui sifflent!, leur équipe lorsqu’ils daignent se déplacer. Car ils ne comprennent pas le football. Ils pensent, -avec beaucoup de « spécialistes » qui commentent sur les chaînes en temps réel et leur servent la soupe populiste qu’ils veulent entendre-, que leur équipe, cette bande de fainéants prétentieux et trop payés, devrait gagner 5-0 tous ses matchs. Alors que les argentins chavirent de bonheur lorsque leurs joueurs se qualifient d’un but à la 86ème minute du troisième match contre le Nigéria, les (très rares) supporters français, présents dans les tribunes de France-Danemark, se sont plaint aux journalistes de l’Équipe : ils avaient payé leurs billets « cher » et ils voulaient voir du « spectacle ». Et ils ont sifflé. Ils ont sifflé leur équipe en coupe du monde, qualifiée, première de son groupe. Bande d’imbéciles, bande de crétins, bande d’idiots, et je m’arrête par correction.
Du spectacle?
Allez au cirque.
Allez voir des trapézistes, des magiciens, des dompteurs de lions.
C’est la coupe du monde les gars!
Si la France voulait garder une -toute petite- chance de gagner, elle devait gérer le match, ne pas s’épuiser dans un pressing inutile, ne pas laisser des blessés, des suspendus, de la fatigue. Car samedi c’est l’Argentine. C’est Messi, Agüero, Dybala, et surtout 30’000 vrais supporters, pas comme nous, qui nous compterons sur les doigts d’une seule main. Samedi, les bleus vont jouer à Buenos Aires, contre le meilleur joueur du monde et les crampons de Mascherano, pendant que vous sifflerez et pleurnicherez, de retour sur votre canapé, -ils sont méchants, j’ai payé cher ma redevance et je voulais voir du spectacle, oh là là, vraiment!-.
En 1998, j’ai eu l’immense chance d’être au stade de France pour le quart de finale France-Italie. Le match était fermé. A part une occasion ratée de Djorkaeff sur passe de Zizou en première mi-temps, il ne se passait rien, c’était tactique. Et puis Baggio a tiré à un centimètre du poteau gauche de Barthez en prolongations. Pour un centimètre, il n’y a pas eu but en or pour l’Italie, il y a eu tirs aux buts, et, malgré le raté de Lizarazu, la France est passée. Alors j’ai quitté le stade pour le centre de Paris et j’ai senti dans le cœur de la ville un peu d’émotion qui montait, quelques klaxons, quelques cris. Ce n’était pas encore Buenos Aires ou Mexico, non, mais un petit quelque chose commençait, qui allait se terminer, dix jours plus tard, par un million de personnes sur les Champs et des souvenirs éternels. Car même dans ce pays qui n’aime pas le football, à un moment, les français ont oublié le cynisme et l’utilitaire, pour se laisser emporter par l’émotion du foot. Tout est possible en somme.
Alors demain, oui, demain, c’est France Argentine.
Demain, la France sera peut-être éliminée, puis, qui sait?, pas qualifiée dans quatre ans. Demain, c’est peut-être le dernier match de coupe du monde des bleus pour huit ou douze ans.
Ou bien, demain, la France éliminera un très grand pays de football.
Alors profitons-en, bande d’imbéciles que nous sommes, même si nous ne méritons pas notre équipe.
Profitons-en.
Allez les bleus.
La France va battre l’Argentine 4-0 (2 buts de Griezmann, un de Varane et un csc de Messi)
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