La route des qualifications pour la coupe du monde 2018 est escarpée : en Russie, il y aura presque deux fois moins de pays européens que lors du récent Euro français. Les bleus sont dans un groupe relevé, ils ont déjà gâché deux précieux points en Biélorussie. La Bulgarie, de sinistre mémoire, se dresse sur leur chemin vendredi. La Hollande, blessée, mais toujours capable du meilleur, les attend trois jours plus tard.
Les pessimistes envisagent déjà le pire.
Les optimistes, au contraire, sourient en soulignant que la France est, de loin, la meilleure équipe du groupe.
Alors la France va-t-elle se qualifier ? Optimistes ? Pessimistes ?

En réalité, le désaccord entre les uns et les autres n’est pas footballistique mais esthétique. C’est un désaccord fondamental, quasi philosophique, entre les optimistes -que l’on peut appeler l’équipe des « souriants »- et les pessimistes, alias les « neurasthéniques ».
Les premiers sont en accord avec le monde tel qu’il va.
Les seconds se rebiffent.
Les souriants se lèvent le matin prêts à dévorer à pleines dents le premier jour du reste de leur vie et la prochaine victoire des bleus. Les neurasthéniques sortent tristement un pied de leur couette en se lamentant sur une journée qui va clôturer tout un pan de leur existence et se conclura par une victoire bulgare.
Dans la première équipe, on trouve le souriant mathématicien et philosophe Leibniz, qui croit à une harmonie préétablie entre les êtres. En face, au marquage, le titulaire est le neurasthénique Voltaire, qui, dans « Candide », caricature Leibniz en Pangloss répétant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Si Voltaire a choisi, avec « Candide », la forme du roman, pour répondre à Leibniz, ce n’est pas un hasard : le roman est le royaume de l’ironie. Les souriants détestent l’ironie* : le sourire est une adhésion au monde tandis que l’ironie déconstruit toutes les certitudes. Voltaire a utilisé l’ironie pour contrer Leibniz comme on brandit une gousse d’ail face aux vampires.

Parce que le souriant accepte le monde tel qu’il va, il est l’amant du progrès. Il est donc souvent progressiste, tandis que le neurasthénique, qui, méfiant, rejette instinctivement le changement -il a trop peur que l’on jette le bébé avec l’eau du bain-, se tourne plutôt vers le conservatisme.
Mais attention : les racines du désaccord entre les deux équipes ne sont pas plus politiques qu’elles ne sont footballistiques, elles restent esthétiques.
Pour être concrets, donnons des noms.
D’un côté BHL et Michel Serres. De l’autre, Philippe Muray et Michel Houellebecq.
D’un côté, l’immense Victor Hugo qui croit au bien et au mal, de l’autre le monument Philip Roth, maître de l’ironie.
D’un côté l’iPhone 7, de l’autre le Nokia de 1995, puisque le neurasthénique déteste autant les nouvelles technologies que le souriant les vénère.
D’un côté Mark Zuckerberg qui crée des empires en courant sous le ciel bleu californien, de l’autre Alain Finkielkraut, maussade et pensif, assis dans l’air vicié de son bureau, devant sa bibliothèque parisienne.
Ce duel Zuckerberg contre Finkielkraut est un duel de géants.
Il y a du respect entre les deux équipes, mais aussi un peu de jalousie. Car les Finkielkraut et Muray, écorchés vifs, trop négatifs pour être aimés des foules, jalousent secrètement les papouilles que les mannequins internationaux prodiguent à BHL et Zuckerberg sur leurs yachts blancs.
En face, les adorateurs du progrès savent bien qu’ils n’ont aucun humour : ils échangeraient toutes les heures de sexe débridé avec leurs hôtesses personnelles en plein ciel contre un seul trait d’esprit de Philippe Muray.
Le neurasthénique est un regretteur d’hier, pour employer la belle expression de Souchon dans « Ava Gardner ». Il se lamente parce que, chaque jour, un monde particulier meurt au crépuscule. Il conserve depuis des dizaines d’années sur des étagères poussiéreuses tous les hors séries de l’Equipe sur l’épopée des verts en 1976 et la tragédie de Séville.
Le souriant, au contraire, est toujours dans le match d’après. Il méprise la nostalgie, cette perte de temps, cette triste passion du « c’était mieux avant », qui détourne de l’amour du progrès et de l’avenir radieux. Il croit en la jeunesse de l’équipe de France, il place sa confiance dans la génération suivante. Il a oublié Kostadinov depuis longtemps ; pour lui, la Bulgarie de vendredi n’est que le nom d’une prochaine victoire.
Alors, cher lecteur, jouez-vous dans l’équipe des « souriants » ou dans celle des « neurasthéniques »?
Au fond de vous, vous le savez très bien.

* Milan Kundera raconte dans La Plaisanterie qu’au début du communisme en Tchécoslovaquie, malgré les exécutions, malgré l’horreur, tout le monde souriait. Mieux, tout le monde DEVAIT sourire pour montrer son accord avec la révolution. Celui qui ne souriait pas était accusé d’individualisme et risquait sa liberté et sa vie.
Le sourire était obligatoire ; l’ironie était interdite.
Non que la reflexion n’apporte un eclairage lumineux a la course folle du monde; elle omet toutefois, me semble-t-il, un angle majeur: le pessimiste affiché est aussi, souvent, un optimiste qui croit a l’oeil.
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Madame Ho, merci beaucoup de votre commentaire très utile. Je ne peux que recommander à nos lecteurs le livre et le film tirés de votre vie, « Histoire d’Ho ».
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Je n’avais jamais réfléchi à Leibniz en ces termes et j’ai lu avec grand plaisir ce blog.
A quand le blog sur les gens qui sont ou savent qu’ils ont une tendance au pessimisme mais qui se soignent ou essayent de se soigner ?! Ou comment l’équipe de France de football pourrait devenir une question de sante publique !
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Et encore, on commence seulement à découvrir certains aspects sombres de la vie de Leibniz. Mon collègue MAL prépare d’ailleurs un ouvrage : « Les habitudes alimentaires et sexuelles de Leibniz », qui va faire beaucoup de bruit.
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