Je ne voulais pas raconter ma vie personnelle sur ce blog : c’est privé, je trouve.
J’ai changé d’avis en lisant l’excellent témoignage de Guy Birenbaum sur sa dépression (« Vous m’avez manqué, histoire d’une dépression française », Editions Les Arènes)*.
Bluffé par la vérité et le courage de ce récit, je me suis dit : « Moi aussi je dois raconter mon expérience ».
Mon objectif est le même que celui de Guy Birenbaum : aider les gens qui vivent la même chose à se sentir moins seuls.
Tout a commencé par un petit bouton sur ma bite
Après un check up complet, mon médecin, une trentenaire brune à lunettes, la blouse tendue par une paire de seins fermes, me convoque.
Elle entre directement dans le vif du sujet :
« M. Benlosam, j’ai une très mauvaise nouvelle. Vous avez une maladie extrêmement rare. Il n’y a qu’un ou deux cas tous les ans en Europe. L’institut Pasteur a confirmé. »
Après un silence, elle continue :
« C’est une maladie mortelle, malheureusement. »
Elle se tortille sur son siège. Je suis tellement choqué que je remarque à peine son décolleté impressionnant qui s’ouvre chaque fois qu’elle se penche en avant.
« Si on ne fait rien, vous en avez pour quelques semaines, pas plus. Vous mourrez dans des souffrances inimaginables. Je préfère ne pas vous donner de détails, c’est insoutenable. Mais bonne nouvelle : il existe un traitement qui peut vous guérir complètement. »
Je me demande si je serai encore vivant pour voir le match retour du PSG au Camp Nou. La bouche ouverte, j’écoute la suite :
« J’ai consulté plusieurs spécialistes. Ça ne va pas vous plaire : seule une ablation totale de votre pénis et de vos testicules bloquerait la maladie. Vos chances de guérison seraient supérieures à 95%. »
Je pense alors qu’il s’agit d’une blague. Une très mauvaise blague, une plaisanterie d’étudiants potaches. Je tourne la tête de tous les côtés, je regarde le plafond pour trouver la caméra cachée.
« Vous plaisantez Docteur ? Depuis le début, c’est une plaisanterie, c’est ça ? »
Elle tripote ses lunettes :
«Je ne plaisante pas du tout M. Benlosam. Jamais avec la santé de mes patients. Vous devez être opéré le plus vite possible. Chaque heure qui passe est un risque. »

L’ablation
L’après-midi même, je suis allongé sur un lit d’hôpital devant le Professeur de chirurgie, un petit homme d’une soixante d’années qui arbore un beau nœud papillon bleu sous sa blouse blanche. Il va m’opérer lui-même, privilège dû à la rareté de ma pathologie.
« C’est une opération bégnine, cher Monsieur. Nous allons vous sauver. »
Il appelle une infirmière et lui demande de me préparer. Une blonde d’un mètre quatre-vingts, aux larges épaules et aux mains immenses de déménageur, franchit la porte avec un petit chariot de matériel.
D’une voix virile au fort accent brésilien, elle me demande d’enlever mon pantalon d’hôpital vert avec un trou sur le devant. Elle badigeonne de mousse les poils de mon pubis. Elle prend ensuite une énorme lame et me rase avec soin. Minuscule et fragile, ma bite s’est repliée sur mes couilles, comme si elle voulait se cacher.
Je n’y pense que maintenant : c’est en fait la dernière fois que je l’ai vue.
Sur le moment, j’ai surtout peur de la lame tranchante de la grande brésilienne. Elle approche maintenant le rasoir de mes testicules. Elle va me raser les poils des couilles. J’ai peur. Maman ! Heureusement pour moi, au dernier moment, le chirurgien arrête la lame d’une main levée :
« Inutile pour cette opération, Mademoiselle », dit-il avec autorité.
Pourquoi, en effet, raser les poils d’une couille que l’on va bientôt jeter à la poubelle ?
J’habite à Paris
Le lendemain matin, je me réveille sans bite ni couilles, avec un énorme bandage tout autour du pubis. En quelques heures, on m’a sauvé la vie et transformé en homme qui s’assoit sur la cuvette pour faire pipi.
On m’a proposé de me rendre mes parties embaumées dans un bocal, pour les poser sur ma cheminée. J’ai refusé. Contrairement à Alain Souchon, je n’ai jamais été nostalgique. A l’heure qu’il est, ma bite est probablement broyée dans un camion poubelle de la mairie de Paris.

Pas de bite, pas de Magrit
Des questions me taraudent.
Que vais-je gratter le matin au réveil ?
Je pense aussi à ma voisine de palier, Magrit, une institutrice suédoise un peu grasse de 40 ans. Je la culbute deux fois par semaine, en fin d’après-midi, pendant le bingo de ma femme. Nos relations vont changer. Autant voir la bouteille à moitié pleine : c’est une bonne occasion de tester notre relation. Magrit a toujours affirmé ne pas coucher avec moi pour le sexe. Je vais savoir si elle est sincère.

Pas de couilles, pas d’embrouilles
Ma femme Yvette m’a soutenu. Elle s’est débrouillée avec ma mutuelle pour me procurer une chambre individuelle avec Canal+. Ce soir, sans bite ni couilles, je regarderai le PSG, sans Ibra ni Verratti, défier le Barça.
Yvette souhaite ma guérison. Comment se débrouillerait-elle, sinon, pour la vie administrative, elle qui ne se souvient d’aucun mot de passe ? La perte de ma bite (sans parler de mes couilles qui l’ont toujours légèrement dégoûtée) ne la dérange pas tellement : elle ne l’utilisait pas très souvent de toute façon.
Elle achète toujours des concombres (au prétexte transparent que ce légume serait bénéfique aux enfants – il ne manquerait plus que ça !, les pauvres, ils sont tout petits !). Ses connaissances diététiques sont limitées : je la soupçonne de croire que le slogan « 5 fruits et légumes » signifie « Asseyez-vous sur 5 fruits et légumes ». Très souvent, à la mi-temps d’un match, pendant qu’elle « lit » dans notre chambre, je remarque, en sortant une bière du frigo et le chocolat du placard, que l’immense concombre qui trônait à côté des fruits sur le plan de travail de la cuisine a disparu.
Pas d’Ibra, pas de chocolat
J’ai du mal à être très optimiste, d’autant que Zlatan, serial buteur lors des derniers matchs, est suspendu. Certes Cavani, génétiquement incapable de cadrer, a marqué 2 buts contre Bastia samedi, à la surprise générale, mais peut-on comparer Bastia au Barca (sans manquer de respect aux corses qui sont des gens formidables par ailleurs) ?
Pour couronner le tout, Yvette est partie en oubliant de me laisser du chocolat.
Pas de Zlatan, pas de chocolat, plus d’appareil reproductif : la soirée se présente mal.
Jamais sans ma bite
Je n’ai jamais regardé de match sans bite. C’est arrivé une fois à Yvette ; elle n’a pas aimé et n’a plus jamais regardé d’autre match.

Ici c’est pas riz
Heureusement, le soir, l’infirmière brésilienne, Roberta, remplace sur mon plateau repas le riz (que je n’aime pas) par une salade de concombres coupés en toutes petites rondelles accompagnés de deux œufs de caille dans leur émulsion au parmesan. C’est délicieux, tout comme les petits chocolats fourrés qu’elle m’offre. Roberta se sent très concernée par mon opération : beaucoup de ses amis au Brésil sont passés par là, m’explique-t-elle.
Pas de braquemard, du Neymar
Lorsque l’hymne de la champion’s league retentit dans ma chambre, j’arrête de pleurnicher comme une femmelette sur la disparition de mes parties pour entrer dans le match. D’habitude, cette musique me donne une érection. Pas ce soir.
Roberta s’est assise sur mon lit : elle supporte les deux équipes puisque les stars de la seleçao sont réparties deux côtés.
Tout se passe comme prévu, malheureusement, même si Messi ne marque pas. Cavani rate ses contrôles. Lavezzi court très vite. Van Der Wiel se demande ce qu’il fait là, puis marque, tout étonné. Verratti manque. Matuidi est héroïque mais c’est insuffisant. Neymar dédie son but au ballon. Thiago Silva (qui n’est pas un travesti, Roberta me l’a confirmé, -Joey Barton se trompait-) se blesse sans que son mascara ne coule (mais comment fait-il ?). David Luis le remplace, malgré sa blessure récente et son problème capillaire, puis se prend un petit pont sur chacun des deux buts du mordant Suarez.
Défaite 3-1. Mes larmes coulent. Je me confie à Roberta : « Beaucoup de gens ont des couilles, d’autres, une bite : je n’ai rien du tout. Quant aux chances de qualification du PSG, elles ont disparu elles aussi ». Paris est tragique mais Roberta est magique. Mes larmes sèchent dans ses bras.
Puis nous refaisons le match, et bientôt, elle défait mes pansements et m’apprend avec autorité et bienveillance une nouvelle forme d’amour, plus passive. Je m’abandonne et j’oublie ma vie d’avant, un peu vaine, dans laquelle, au printemps, lorsque les jupes rétrécissaient, ma bite me précédait partout bêtement.
Pas d’érection matinale, pas de journal
Ils n’ont pas l’Equipe ici, les cons ! Demain matin, au réveil, sans rien à gratter ni à lire, j’aurai peut-être un petit coup de moins bien.
Mais je ne suis pas inquiet : si mon amputation sexuelle, peut, non seulement me sauver la vie, mais aussi, grâce à ce post, aider ne serait-ce qu’une seule personne dans le monde, alors le (trop) court passage de ma bite et de mes couilles sur terre n’aura pas été complètement vain.

* Si vous faites partie des rares qui ne l’ont pas encore lu, précipitez-vous sur « Vous m’avez manqué, histoire d’une dépression française ». En résumé, Guy Birenbaum raconte comment il a sombré dans la dépression parce qu’il va trop souvent en vacances à Trouville (c’est en tout cas ma lecture de son témoignage – personnellement je ne reste jamais plus de trois heures à Trouville, trop risqué pour mon moral, et c’était avant mon ablation totale des parties.)
A paraître bientôt aux Editions Robert Basfonds « Vous me manquez, histoire d’une ablation de bite et de couilles françaises« , par Benlosam (photo de couverture ci-dessous) :