Manchester United vient de perdre deux fois de suite en championnat. Les red devils ne sont que 9ème avec 13 points de retard sur le leader Arsenal, après 15 journées. David Moyes, l’entraîneur écossais de Man U, qui a succédé cet été à un autre écossais, le grand Sir Alex Ferguson, parti à la retraite, n’arrive pas à endosser un habit trop grand pour lui. Anobli par la reine en 1999, Sir Alex Ferguson est considéré par certains comme le plus grand entraîneur vivant. Avec Manchester United, il a gagné treize fois le championnat d’Angleterre et deux fois la champion’s league.
Mais le métier d’entraîneur contient une part d’aléa absolument énorme.
Sir Alex était-il vraiment un génie ou a-t-il juste eu énormément de chance ?

Marchés financiers et football
Rien ne ressemble plus au football que les marchés financiers. Les cours de bourse suivent des trajectoires aléatoires, l’information non anticipée, un des nombreux noms du hasard, les entraîne dans un mouvement imprévisible. Le gérant de portefeuille à qui l’on demande de performer mieux que le marché exerce donc un des métiers les plus difficiles au monde.
Le résultat d’un match de football est tout aussi imprévisible qu’un cours de bourse. La forme du moment, les mottes de terre, les décisions arbitrales absurdes, les poteaux placés un centimètre trop haut ou trop bas, tout concourt à rendre le métier d’entraîneur imprévisible et difficile.
Gérant de portefeuille, entraîneur, deux métiers horribles et aléatoires : on vous porte aux nues ou au contraire, on vous descend en flammes, parce qu’un dé s’est arrêté sur le cinq au lieu du six. On devrait féliciter ou insulter le hasard ; c’est vous, pauvre gérant de portefeuille boursier, pauvre entraîneur, que l’on insulte ou félicite.
Voilà pourquoi les entraîneurs sont sur des sièges éjectables. Parce qu’un jour ou l’autre, le mauvais numéro sort. L’entraîneur, vedette la veille, devient un moins que rien après trois défaites consécutives. On demande sa tête. Au revoir. Alors bien sur, lorsqu’un entraîneur tient des années, lorsqu’il a des résultats dans la durée, comme Sir Alex, on crie au génie.
Pourtant, comme toujours, la réalité est beaucoup plus complexe.
Les cinq cent singes gérants de portefeuille
J’emprunte cet exemple à l’excellent Nicholas Nassim Taleb, dans son livre que je vous recommande, Fooled by randomness.
Prenez cinq cent singes (1) et donnez leur un portefeuille d’actions à gérer. Laissez les appuyer, au hasard, au début de chaque année sur des numéros qui représentent des actions. Au bout d’un an, deux cent cinquante singes auront battu le marché. Au bout de deux ans, cent vingt cinq. A la fin de la cinquième année, il vous restera tout de même une quinzaine de singes qui auront surperformé cinq années de suite.
Prenez un de ces quinze singes, louez un jet privé et partez en road show avec lui. Allez voir les plus gros investisseurs du monde à New York, Oslo, Doha, Shanghai.
Dites leur : « Mon singe est un génie des marchés financiers. Regardez son track record. Il a battu cinq années de suite le marché. Quelle est la probabilité de faire cela ? Extrêmement faible. Mon singe est un génie. Confiez lui votre argent. » Vous récolterez cinq milliards de dollars que vous donnerez en gestion au singe.
Voilà pourquoi, nous explique Nicholas Nassim Taleb, la question que l’investisseur devrait se poser est celle de la taille de l’échantillon. Combien de singes y avait-il au départ ? S’il y en avait cinq cent, alors, très probablement, vous avez une quinzaine de singes qui effectuent en ce moment même des road shows dans des jets privés. On n’a en fait aucune preuve de leur talent.
Sir Alex un singe chanceux ?
D’où la question à propos d’Alex Ferguson. Quelle est la taille de l’échantillon ? Et là, désolé pour les supporters de Man U, mais la taille de l’échantillon est énorme. Beaucoup d’entraîneurs tentent leur chance. Statistiquement, il n’est pas étonnant que l’un d’eux ait pu gagner chaque année, comme les singes les plus chanceux de notre expérience.
Rien ne prouve que Sir Alex ne soit pas simplement le singe le plus chanceux d’un vaste échantillon. Et ses admirateurs ne peuvent prouver le contraire.
Chacun pourra donc conserver sa propre opinion. La notre, vous vous en doutez, n’est pas favorable à Sir Alex. Quelqu’un qui a plusieurs fois critiqué M. Arsène Wenger, un entraîneur dont le génie est incontestable et ne doit rien à la chance, ne peut réellement avoir du talent.

(1) En réalité, Nicholas Nassim Taleb donne cet exemple en parlant de gérants de hedge funds, pas de singes. Mais rien ne ressemble plus à un singe qu’un gérant de hedge fund, disent les mauvais langues.
