De passage à Paris, je consulte dans un hôpital universitaire avant les deux matchs PSG – OM. On m’annonce que je dois me faire opérer. Opération mineure, une formalité, mais nécessaire. Après l’hôpital universitaire londonien avant Arsenal – City, voici l’hôpital universitaire parisien, le lundi suivant le PSG –OM de ligue 1.
Le dimanche soir, je regarde le match sur Canal +. Les débuts de Beckham, la victoire un peu chanceuse 2-0 du PSG. Valbuena qui semble être la réincarnation de Giresse, Gignac qui se bat comme un diable, Ibrahimovic, mauvais mais buteur. Ibrahimovic a été sifflé, Beckham a plutôt réussi son entrée, vivement le prochain classico, en coupe, dans trois jours.

Le lendemain, à l’hôpital, on m’installe dans ma chambre. Je veux assister au PSG – OM de coupe de France, le mercredi soir, sur France 3. Je m’abonne à la télévision de l’hôpital, pour un peu plus de 13 euros.
Des gens entrent toutes les cinq minutes dans ma chambre. On me prend sans arrêt la tension et la température. On me fait des électrocardiogrammes. A ma grande surprise, une dame s’installe près de mon lit, et me fait choisir tous mes repas, entrée, plat, dessert, jusqu’à jeudi. Une externe en quatrième année de médecine, ravissante, aux longs cheveux bruns, timide, avec des lunettes, essaye de me poser des questions, mais elle n’a aucune idée de ce qu’il faut demander, elle est en stage et ne connait pas encore la médecine. Je l’aide, je lui parle de ses études. Heureusement pour elle, l’interne entre, et, pendant qu’il parle, je vérifie que la télévision marche. Oui, tout va bien.
Le docteur qui va m’opérer passe me voir. Je lui demande si je serai en forme pour regarder le match mercredi soir. « Aucun problème, c’est une formalité ».
Les gens continuent à entrer et à sortir sans cesse de ma chambre. On m’apporte mon repas. J’avais demandé une salade, du poulet et une pomme, c’est une soupe, du poisson et un yaourt.
Vers 20h, la dame qui avait pris la commande de mes repas m’annonce sans aucune préparation psychologique :
« Je viens pour le rasage ».
« Comment ça le rasage, vous êtes sure ? »
« Oui, c’est marqué. Il faut faire un short complet ».
« Vous plaisantez ? Un short complet ?»
« Non, je ne plaisante pas. Vous préférez le faire vous-même ? »
Je suis en état de choc. Sans savoir ce que je raconte, je dis, « oui », et je prends le rasoir de barbier qu’elle me tend.
Elle a l’air satisfaite, installe une serviette par terre dans la salle de bains, puis dit très sérieusement avant de sortir.
« Faites-le bien, enlevez tout, le docteur ne fera pas l’opération sinon. Et n’oubliez pas les coucougnettes ! »
« Les coucougnettes aussi ? »
« Oui, absolument. »
Je suis désespéré. J’en veux au docteur, qui ne m’avait pas prévenu. Ce n’est pas du tout une formalité, finalement, ce truc. Si cette intervention comprenait un rasage des coucougnettes, la déontologie n’aurait-elle pas exigé que je sois prévenu auparavant ? A quoi sert le serment d’Hippocrate ? On m’a fait signer une feuille qui disait que j’avais 3 chances sur 1000 de mourir, mais rien sur le rasage obligatoire. Devrais-je quitter immédiatement l’hôpital, au risque de ma vie ? J’imagine les gros titres dans le Parisien : « Il meurt car il refuse un rasage des coucougnettes ». Soudain, je comprends les témoins de Jéhovah. Ils ont des convictions, et sont prêts à mourir pour elles. Ils refusent la transfusion, c’est leur foi. J’ai toujours refusé un rasage à cet endroit là, je pensais que cela faisait partie du noyau dur de mes convictions, je devrais avoir le courage d’un témoin de Jéhovah. Mais je suis un lâche. Je m’assois sur mes convictions. Je me rase, c’est horrible.

Dans notre société où la parité s’installe, nous avons perdu tous nos avantages d’hommes. J’ai même acheté des billets pour la finale de la champion’s league féminime, qui aura lieu à Stamford Bridge cette année, c’est dire. Mais, au moins, je considérais encore que mon dernier privilège masculin, c’était que le rasoir ne s’approchait pas de cet endroit. Ce dernier privilège a disparu brutalement, une nuit du 4 août un 25 février, et je suis sonné, tout seul dans ma chambre.
Plus tard, un monsieur entre (on entre dans ma chambre comme dans un moulin) et me dit : « Demain matin, je vous emmène à la douche à 5h ».
Puis il vérifie le rasage. Il n’est pas satisfait. Il recommence donc lui-même, j’ai affaire à un vrai professionnel.

Le lendemain, après m’être douché à 5 heures, essuyé avec des serviettes en papier, avoir enfilé la tenue officielle de l’hôpital, blouse verte ouverte sur les fesses, avoir rencontré des dizaines de personnes venues prendre ma tension et ma température, avoir de nouveau choisi mes menus pour les jours suivants (je n’ai pas osé dire à cette nouvelle dame que l’on avait déjà pris ma commande), avoir appris que Beckham serait sans doute titulaire, on m’opère. Et je dors. Je suis fatigué, je dors beaucoup, mais les gens continuent à me prendre la tension imperturbablement. Pendant mon sommeil, l’interne barbu entre dans ma chambre. J’ouvre un œil. Il n’est pas avec la jolie externe. Je referme l’œil.
Le lendemain, mercredi, à 6 heures du matin, on me fait une piqure dans le ventre, histoire de me réveiller en douceur. Je ne peux plus dormir, alors j’essaye d’allumer la télévision. Et là, énorme souci, elle ne marche plus.
Je l’indique aux infirmières. « Appelez le 60 après 10h ». Je suis inquiet. Plus tard, deux jeunes hommes me descendent pour un examen. Ils poussent mon lit, que je ne peux quitter pendant 24 heures. Je leur demande « OM ou PSG ? ». Le premier me dit « PSG bien sur, je suis du 93 ». Mais le second est un martiniquais de Marseille (ou le contraire). Dans l’ascenseur, ils ont une discussion passionnante sur l’OM, l’argent du PSG, le fait que PSG « est une équipe de grandes gueules », que « l’OM est composé de joueurs nazes », mais ils parlent entre eux, pas avec moi. Peut-être ont-ils vu, par l’ouverture de ma chemise d’hôpital, que je n’étais plus tout à fait un homme, et m’ont-ils jugé indigne d’une discussion football ?

Mon examen terminé, on range mon lit contre le mur, et j’attends avec d’autres patients que l’on vienne me remonter. Les autres sont tranquilles, ils ont leur perfusion, parfois leur bouteille d’oxygène, ils vont peut-être mourir mais ils ne sont pas vraiment pressés. Mais moi je dois retourner au plus vite dans ma chambre, appeler le 60 pour faire réparer ma télévision. Je stresse énormément. Finalement, après plus d’une heure d’attente au parking des lits, on me remonte.
Le 60 ne répond pas. J’appelle toute la journée, seulement interrompu une trentaine de fois par des infirmières en stage venues me prendre la tension ou la température, sans jamais se lasser. Je commence à ne plus y croire. Vais-je rater la première titularisation de David Beckham, le people du football ? Finalement, vers 18h, on me répond, et je jure que c’est vrai, incroyable, on m’envoie un technicien. Très compétent, il répare ma télévision en une dizaine de minutes. J’ai l’impression d’être dans la magnifique scène du film Brasil, celle où Robert de Niro, le dernier grand aventurier, le dernier homme qui sait réparer les machines intervient, et répare comme un héro, au milieu des tuyaux emmêlés.
Je suis ravi. Qui osera encore critiquer les hôpitaux universitaires français après cela ?
Je regarde le match en mangeant mon repas, qui n’a rien à voir, bien entendu, avec ce que j’ai commandé.
Le match de coupe est moins beau que le précédent classico, trois jours avant.
Le PSG domine trop. Marseille est totalement surclassé. C’est triste. L’OM a laissé partir trop de joueurs, avec ses contraintes de saine gestion de la masse salariale. Marseille n’est plus au niveau technique pour rivaliser avec une équipe comme le PSG. Sur un match, la volonté et le physique peuvent parfois aider, comme dimanche soir, où l’OM a quand même perdu 2-0. Mais mercredi, en coupe, le côté inéluctable, cette différence de niveau flagrante, tout cela était un peu déprimant. On a vu sur ce match ce que l’on a déjà observé cette année en champion’s league, et que l’on verra dans les années à venir : en dehors du PSG, plus aucune équipe française de ligue 1 n’a et n’aura le niveau européen dans les prochaines années. Cette fois, c’est fini. Lyon, dans les années 2000 a entretenu l’illusion. Mais Lyon arrivait encore à garder quelques grands joueurs. Avec la diminution inéluctable des droits télévision, alors qu’ils augmentent considérablement en Angleterre, la suppression de la loi sur le droit à l’image, l’augmentation des inégalités fiscales entre la France et les autres pays européens, et en conséquence la faible attractivité du football français pour les riches magnats étrangers (PSG et Monaco étant les exceptions), la ligue 1 ne pourra plus rivaliser avec les bonnes équipes européennes. Bientôt, ce sera un vrai problème pour le PSG. Comment gagner la champion’s league si on n’est plus habitué au haut niveau dans son championnat ?
Mais pour le moment, profitons de David Beckham, qui fut un grand joueur, reste un bon joueur, et est surtout quelqu’un de très connu. Et on le sait depuis au moins Célébrity, de Woody Allen, la célébrité est la valeur suprême, peu importe la « cause » de cette célébrité. « Vous êtes célèbre parce que vous êtes célèbre » est-il répondu à Roberto Begnini, qui ne comprend pas ce qui lui arrive dans « To Rome with love », du même Woody Allen. Nous avons Beckham, nous avons Ibrahimovic en ligue 1. Nous sommes célèbres à travers le monde. Peu importe que nous soyons nuls.
Et en plus, lorsque nous aurons perdu toutes nos illusions sur nos équipes, lorsque nous aurons renoncé à toute ambition, il nous restera toujours l’hôpital, avec ses menus si surprenants.
Thank you very much for having shaved the coucougnettes before watching me on TV. It really feels good to know I have fans with shaved coucougnettes.
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@David Beckham : You will feel even better knowing that you have fans with no coucougnettes at all.
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@MAL : sure, my wife does not have coucougnettes but she is fan!
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Marseille n’a pas de joueur spectacle, mais manque de réussite, quant au score de PSG il aurait pu être différent égalité ou 0à0. J’ai l’impression que Marseille manque d’attaquants efficaces.
J’ai remarqué la façon dont Bekham a sauté dans les bras de Zlatan Ibrahimovic, c(était presque un exploit sportif
A quant un nouvaeu Zidane
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Ton histoire a résonné en moi – et comment ! – ces jours-ci en
particulier. Bravo pour le ton (parfois un peu rasoir, convenons-en)
mais surtout ton sens aigu de la description qui, en l’occurrence, m’aura « parlé ».
cependant tu es un débutant en l’espèce, cher Benlosam, comment le nier? Voilà combien de veilles d’interventions où je ne m’aventure plus à m’ennuyer tout seul (à m’auto-raser si t’aimes mieux), surtout une zone aussi… pointue. Car, crois-moi, on perd à tous les coups à ce petit jeu-là, ce n’est jamais parfait. Alors je me laisse désormais faire, what else?
J’ajoute qu’à la minute où j’écris ces lignes, je suis particulièrement à mon aise pour m’exprimer sur un sujet aussi poilant, ayant offert corps et lame à une main anonyme et nez en moins experte il n’y a pas 4 jours. Allégé de mon pelage intime, me voilà donc parfaitement placé pour te prodiguer ce conseil que, n’en doutons pas, tu sauras mettre à profit le moment velu.
Glabrement tien.
Rolly Balls
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