L’acte d’accusation contre Ménez, Benzéma et Anelka : vous ne souriez pas !
Jérémy Ménez n’était pas titulaire lors du match amical France – Allemagne. Il semblait bien sombre, mais pas plus que lorsqu’il est titulaire. Son visage exprimait un sérieux profond. C’est bien connu, il a du mal à sourire, il donne parfois l’impression de s’ennuyer.
De même, Karim Benzema sourit rarement, tout comme, avant lui, Nicolas Anelka. Ces joueurs sont de grands spécialistes du visage fermé, comme s’ils voulaient plus ou moins volontairement se rendre antipathiques.

On les critique. On les accuse de « faire la gueule ». On leur reproche de donner une mauvaise image de l’équipe de France. On est loin du sourire du glorieux prédécesseur de Ménez au PSG et en équipe de France, David Ginola, ou de la plus belle joie de l’histoire du football français, celle de Giresse à Séville.

Soyons résolument antipathiques
Pourquoi cet air triste et fermé ? Certains disent que ce serait lié à une culture « jeune ». Pour exprimer la force, il ne faudrait surtout pas sourire, ce serait un signe de faiblesse. Plus on aurait l’air antipathique, plus on aurait de chances de réussir.
Il n’est pas certain que cela soit limité à une culture « jeune ». Lorsque l’on voyage à Paris, on est frappé par les regards agressifs, le manque de sourire ambiant. A Paris, y compris dans les milieux bourgeois et vieux, être antipathique est un signe de force. Mépriser les autres, se défier a priori des gens que l’on connait peu, est un code culturel qui signifie « je suis puissant et connecté, mon sourire a de la valeur, tu ne le mérites peut-être pas ».
Ménez, Anelka ou Benzéma reproduiraient ce code de conduite français, parisien, que l’on pourrait résumer par : « Soyons résolument antipathiques ».
Nous avons donc un déficit collectif de sourire, comme nous avons un déficit budgétaire et commercial, Paris est une des villes du monde où les gens sont les plus agressifs sans raison ; malgré cela, on nous dit que nos bleus devraient faire un effort, prendre sur eux et sourire, car être sélectionné en équipe de France est un honneur. En professionnels qu’ils sont, ils devraient aussi prendre soin de l’image des bleus, si ternie depuis 2010, des sponsors, des télévisions et de toute la machinerie commerciale de leur sport business.
Défense de Ménez, Benzéma et Anelka : le sourire forcé de l’adhésion au monde ne passera pas par eux
Nos lecteurs réguliers s’en doutaient, le sentaient venir, l’espéraient, les autres peuvent maintenant reprendre leurs activités habituelles, nous convoquerons évidemment Milan Kundera.
Dans l’Insoutenable légèreté de l’être, il nous raconte qu’il n’existe pas une seule photographie du président Kennedy sur laquelle il ne montre pas les dents, dans un sourire éclatant. Les grands hommes politiques obéissent toujours à l’injonction du photographe : souriez, le petit oiseau va sortir. Parce qu’ils savent que le sourire n’est pas forcément l’humour, bien au contraire. Le kitsch politique a besoin du sourire.
Vous avez peut-être lu le texte magnifique de Philippe Muray sur le sourire de Ségolène Royal (ICI), il y écrit notamment :
« C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom.
C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. »
Le sourire de l’homme politique est le contraire du rire, dit Muray. De même le sourire d’adhésion au monde est le contraire de l’ironie, qui est le rire du diable, dit Kundera. Le sourire d’adhésion, c’est celui exigé des membres des jeunesses communistes.
Le personnage de Ludvik, dans La plaisanterie, le roman de Kundera, voit sa vie dévastée par une seule remarque ironique. Pourtant, il vit dans une société pleine de sourire. En 1949, la société tchécoslovaque était « d’un sérieux rigide, avec ceci d’étonnant que ce sérieux n’avait rien de sombre, mais au contraire les dehors du sourire ; oui, ces années-là se déclaraient les plus joyeuses de toutes, et quiconque n’exultait pas devenait aussitôt suspect de s’affliger de la victoire de la classe ouvrière ou bien (manquement non moins grave) de plonger en individualiste au fond de ses chagrins intimes » (La plaisanterie, Kundera).
L’injonction totalitaire : Ménez, souriez, bordel !
Aujourd’hui, notre société exige que les joueurs de l’équipe de France sourient. Ménez, Benzéma, souriez, bordel ! Car en souriant, nous voulons qu’ils montrent leur adhésion, sans réserve et sans ironie, au maillot bleu. Et quand ils ne sourient pas, exactement comme les communistes en Tchécoslovaquie en 1949, nous les soupçonnons d’être individualistes, le plus grand crime en régime communiste et dans une équipe de football, où l’esprit d’équipe tient la place de la solidarité avec la classe ouvrière.
La France de 2013 n’est pas moins sérieuse que la Tchécoslovaquie de 1949. L’esprit de sérieux nous gouverne, et seule l’ironie de Philippe Muray est capable de le combattre. Nous croyons, par exemple, à la technique, à notre supériorité morale avec nos « droits de l’homme », mais aussi à l’équipe de France de 1998. C’est notre esprit de sérieux qui demande à Ménez de sourire. Nous exigeons son adhésion au parti du sourire.
C’est aussi notre esprit de sérieux qui réclame des condamnations, « notre envie du pénal » (ICI) , comme disait Muray. Nous demandons des condamnations contre Nasri parce qu’il a osé intimer à la presse de se taire, contre M’Vila parce qu’il est allé en boite de nuit, contre Ménez qui refuse de sourire et de plaire aux médias et aux sponsors, c’est-à-dire de collaborer avec le système, de se laisser récupérer.
J’utilise à dessein le vocabulaire des années soixante dix. Dans les années soixante dix, on partait dans le Larzac, parce que l’on ne voulait pas, justement, collaborer avec le système. Quelle belle époque ! Larqué, Rocheteau, Maxime Leforestier, le Larzac. Aujourd’hui, parce qu’il n’y a pas le wifi dans le Larzac, ni le TGV direct, on se contente de refuser de sourire, ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà beaucoup.
Ménez, le dernier rebelle
Nous le disons clairement : bravo à Jérémy Ménez de refuser cette injonction totalitaire. Jérémy, continuez à paraître sombre, triste et énervé ! Gardez votre recul ironique.
A quoi vous demande-t-on d’adhérer en effet ? Une technique toute puissante qui envahit tout ? Le 4G, le 8G, l’i-phone connecté à l’i-truc par la machin-box? Le kitsch dégoulinant des médias ? Non. Gardez votre liberté. Jusqu’à preuve du contraire, vous avez le droit de ne pas montrer vos dents. Vous êtes le dernier rebelle au monde que l’on nous impose, l’alliance mondiale de la technique et du kitsch.
Cher Jérémy, vous le savez, le kitsch, « c’est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion. Il nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons. » (Milan Kundera, le Rideau). Votre air antipathique nous adresse un beau message : la bêtise des idées reçues ne passera pas par moi, je refuse d’être récupéré.
Inscrivons le droit à ne pas sourire dans la constitution
Le gouvernement veut enlever le mot « race » de la constitution, nous proposons donc que, par la même occasion, on y introduise un nouveau droit de l’homme : le droit à ne pas sourire.
Nous allons adresser une requête en ce sens à la députée des français d’Europe du Nord, zone de la Grande Bretagne, Madame Axelle Lemaire. Mme Lemaire est la député de Lloris, Sagna, Diaby, Giroud, Koscielny, Gallas, Malouda, Nasri, Clichy, Vieira, Ginola, Pirès et de beaucoup d’autres. Le sujet est donc certainement important pour elle.

M. Benlosam, en lisant votre article, j’avais le sourire aux lèvres. Est-ce grave? Pourrais-je continuer à sourire si la constitution change?
J’aimeJ’aime
Certe le totalitarisme du sourire et de la joie necessaires doit nous inquieter. Mais tout de meme, n’est ce pas PRECISEMENT sous le masque de l’opposition au systeme que se deploit aujourd’hui le systeme lui meme?
J’aimeJ’aime
@Alain F : effectivement, l’opposition systématique au conformisme est un conformisme. Mais il ne s’agit pas de cela ici. Benlosam n’enjoint pas à tous de s’abstenir de sourire. Il ne fait qu’encourager ceux qui ne sourient pas à résister aux injonctions des conformistes du sourire.
J’aimeJ’aime
Ah le foot …
J’aimeJ’aime
Jamais content même quand ils marquent.
J’aimeJ’aime
J’admire votre faculté à placer une citation de Kundera dans tous vos papiers, quels qu’en soient les sujets.
J’aimeJ’aime
Pas mal cette photo souvenir des trois joueurs de l’equipe de France mais je pense que sa sera la dernière 😉
J’aimeJ’aime