Les rapports entre le football et la religion sont évidents et ils ont déjà fait l’objet de nombreux développements qu’il est inutile de reproduire ici.
Evoquons rapidement le plaisir, ou le besoin, de communier avec de nombreux supporters coreligionnaires chaque dimanche (ou chaque samedi ou chaque vendredi, c’est selon) unis par une même ferveur ou un même idéal. Les deux pratiques peuvent mener aux mêmes excès, et connaître les mêmes débordements, avec des foules en délire qui sombrent parfois dans le fanatisme et la violence.
Le football n’est pas une religion monothéiste, il connaît plusieurs Dieux.
Il se rapproche donc des religions polythéistes de l’antiquité. Ces religions connaissaient un Dieu pour chaque secteur de l’activité humaine, comme chaque équipe aimerait aujourd’hui en compter un par secteur de jeu. Un véritable Panthéon donc (tiens ?…).

Un pas supplémentaire dans cette direction métaphysique consiste à donner une dimension théologique aux destinées du football. Nos anciens, ignorant plus que nous les lois de la nature, et donc peut-être encore plus angoissés que nous devant les incertitudes de l’avenir, s’étaient inventé des Dieux pour tenter de donner une logique à ce qu’ils ne s’expliquaient pas.
Pareillement décontenancés devant l’incertitude du sport, certains essayent aujourd’hui de décrypter les signes du passé pour essayer d’y voir l’avenir. Et ce sont sur Canal Plus les interventions de Dominique Armand, qui nous donne comme une information intéressante que Toulouse n’a jamais marqué en première mi-temps contre Nancy à domicile ces cinq dernières années. Espère-t-il sincèrement que cela puisse aider à prévoir l’avenir ? Je préfère penser que non. Mais alors pourquoi donner cette « statistique » (le mot est en réalité usurpé ici) plutôt que de garder le silence ?
La rédaction de Panthéon-Foot n’est pas épargnée par ces déviances. On se souvient que Benlosam avait élaboré une théorie Contra-Déterministe (voir le billet « Je souhaite la victoire du Portugal »), qu’il résumait lui-même ainsi : « Au football, la chance profite aux mauvais, aux tricheurs, aux salauds ». En avait-il conscience lui-même ? Il donnait ainsi une logique à la « chance », c’est à dire à ce que, par définition, nous ne maîtrisons pas, nous ne comprenons pas, nous ne pouvons pas anticiper. A l’opposé, l’école Agnostique Stochastique répète que la chance peut servir n’importe qui, et que s’il arrive que le meilleur perde à cause d’éléments extérieurs tels que le vent, l’arbitrage ou la quadrature des poteaux, il arrive aussi qu’il gagne. On ne peut juste rien prédire.
Benlosam récidive dans son dernier billet, écrit en complicité avec un certain John Deere. Leur théorie, qui s’appuie sur des mathématiques existentielles, prévoit que les erreurs d’arbitrage, expression la plus courante de l’aléa sur les terrains de football, s’équilibrent sur le long terme, et que celui qui a été lésé en 1982 sera favorisé un jour prochain. Cet équilibrage s’opérerait en vertu d’une justice immanente, d’une sorte de divinité toute puissante, dont on attend encore la première manifestation tangible. Les auteurs de cette authentique profession de foi l’avouent eux-mêmes, il s’agit d’une de ces « croyances stupides qui nous rendent heureux ».

Alex Thunder l’a bien noté, dans son commentaire, nous n’avons là qu’une réédition du fameux « les premiers seront les derniers », qui permet de consoler les défavorisés en leur faisant croire à des jours meilleurs. On peut même remonter plus loin et évoquer les pratiques sacrificielles, monnaie courante dans la plupart des religions il y a quelques siècles. On sacrifiait du bétail, ou même des humains, pour assurer un avenir plus radieux. Pareillement ici, un but injustement refusé serait considéré comme un sacrifice appelant une compensation sous la forme d’une injustice en sens inverse dans une autre compétition.
Disons le tout net, le football et la vie sont profondément aléatoires, et donc parfois injustes. Et il ne faut pas laisser croire que l’injustice d’aujourd’hui sera compensée par une gratification indue demain. Tout cela n’est évidemment que propagande, rideau de fumée pour masquer la profonde injustice de la vie, et finalement, « opium du peuple ». En termes d’arbitrage c’est même parfois le contraire qui est vrai. Un arbitre ayant durement sanctionné une équipe voudra se prouver qu’il a eu raison, que les joueurs visés ont un comportement inacceptable, et il aura à cœur de le montrer en les sanctionnant de nouveau, profitant parfois de l’énervement suscité par ses premières erreurs.
Donc non, l’injustice ne sera pas réparée ni compensée.
Mais elle n’est pas non plus systématique, et le hasard favorise aussi parfois les meilleurs ou les vertueux. En gros, pour le dire vite, c’est simplement le bordel, inexplicable et mystérieux.
Benlosam ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il cite Kundera et l’homme qui avance dans le brouillard, avant de se retourner et de voir alors clair, mais uniquement sur le passé. Notons que les deux billets où Benlosam se laisse aller à la tentation d’expliquer l’inexplicable ( ICI et LÀ) sont illustrés de la même photo, celle de Battiston quittant le stade de Séville sur une civière le 8 juillet 1982. Que les deux fois cette même image lui soit venue montre qu’au moment de les écrire il était dans le même état d’esprit, en proie aux mêmes tourments, et les deux fois il a eu recours au même refuge sécurisant d’une logique immanente qui viendrait donner à ce crime une explication logique (théologique) ou même une contrepartie future.

Mais non. Le football c’est la vie, et donc c’est le désordre, et l’imprévisible. « Au début était le chaos » nous dit-on. Puis censément le Tout Puissant fit la lumière, sépara le jour et la nuit, créa un peu tout, mais il n’est dit nulle part qu’il abolit réellement le chaos. N’espérons pas le faire nous même avec des statistiques bidon ou des mathématiques prétendument existentielles.
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