Comment le football m’a rendu croyant

Dans son billet «Au début était le chaos, mais à la fin aussi », MAL exprime une vérité incontestable. Tout est désordre ; seul le hasard décide de nos destinées et du vainqueur de la coupe du monde. Pourtant j’ai décidé d’être en désaccord avec lui et de croire en quelque chose.

Car je préfère avoir tort avec Sartre que raison avec Aron, ou avec MAL.

Pourquoi cette comparaison ? Parce qu’elle s’impose ! Comment quelqu’un d’aussi intelligent que Sartre pouvait-il accorder de l’importance au marxisme, ou pire adhérer, même un minimum, au maoïsme ?

Soyons sérieux ! Il n’y croyait pas une seule seconde ! C’était pour les femmes. Et sur les femmes, Aron était battu à plate couture. La vie calme et monogame d’Aron d’un côté, les multiples aventures de Sartre de l’autre ; Sartre vainqueur par KO. Pendant qu’Aron partait jouer au tennis, Simone de Beauvoir ramenait des femmes à Sartre et ils faisaient l’amour à trois. C’était quand même autre chose. Si Sartre s’était contenté, comme Aron, de la réalité, triste, terne et grise, s’il avait lui-aussi déclaré «  le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable », les belles créatures auraient quitté sa table au Flore, comme un vol de moineaux, pour ne jamais revenir. Quand il écrivit, dans la préface des « Damnés de la terre » de Fanon, une forme d’apologie du terrorisme anti-colonial et révolutionnaire, franchement, il ne pouvait pas être vraiment sérieux. Il s’adaptait juste aux filles de son temps, puisque la grande mode, dans les années 50 et 60, était de coucher avec un révolutionnaire pour le raconter à ses copines.

Sartre et Aron étudiants : pour les filles, pas gagné

Sartre est un modèle indépassable pour tous les hommes. Voilà quelqu’un de très laid qui a eu le succès de Brad Pitt et Patrick Bruel réunis, et qui a accompli autant de fantaisies sexuelles que DSK. Franchement, si l’on peut passer une nuit avec une jolie fille, qu’est-ce que trente millions de morts dans le grand bond en avant de Mao, ou vingt millions dans sa révolution culturelle ? La fin justifie les moyens. Tout le monde n’est pas naturellement séduisant ; il faut parfois savoir sacrifier les autres si on veut passer quelques instants de bonheur dans les bras d’une femme.

Sartre drague sous l’œil ravi de Simone de Beauvoir

Je laisse donc Raymond Aron et MAL. Ils ont raison, mais sont bien seuls. Je veux être populaire, avoir du succès. J’ai décidé d’être croyant. Car aujourd’hui, on le sait, et on l’a souvent dit sur ce blog, l’école Déterministe, celle qui proclame son accord avec le résultat, qui pense que le vainqueur devait gagner, que « c’était écrit », est largement dominante. Quant aux femmes, elles représentent, ne l’oublions pas, la grande majorité de la clientèle des voyantes. Prêcher, comme MAL,  la « réalité », c’est-à-dire le désordre et le hasard, ou prêcher, comme Aron, le réalisme de la politique du possible, c’est renoncer à parler au cœur du plus grand nombre, et singulièrement à celui des femmes.

Je suis donc croyant, par nécessité et tactique.

Je ne crois évidemment pas à quelque chose d’aussi stupide que « Dieu », ou tout aussi drôle et ridicule, à une « religion » avec des gens qui, tous en même temps, le même jour, tournent autour d’un poteau en chantant, des plumes sur la tête, ou ce genre de choses. Panthéon Foot est, avant tout, un site respectable, où on peut plaisanter sur beaucoup de choses, mais on n’ira quand même pas jusqu’à dire, même ironiquement, que quelque chose comme « Dieu » serait à considérer sérieusement. Il y a des sujets avec lesquels on ne plaisante pas, comme l’importance de Platini dans l’histoire du football et la non existence de Dieu.

Non, je suis croyant, certes, mais je crois en la beauté des coïncidences, notion que certains appellent parfois « destin ».

Le football m’a appris à interpréter les coïncidences et le hasard. Je ne crois pas du tout comme MAL que le chaos règne. Le hasard demande juste à être décodé. Et ceux qui voient la beauté des coïncidences, les interprètent, sont les seuls vrais croyants de la seule vraie religion. Décoder le hasard c’est comprendre notre destin.

« Seul le hasard peut nous apparaître comme un message. Ce qui arrive par nécessité, ce qui est attendu et se répète quotidiennement n’est que chose muette. Seul le hasard est parlant. On tente d’y lire comme les gitanes lisent au fond d’une tasse dans les figures qu’a dessinées le marc du café. « 
(Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être)

Comme l’a dit le professeur Avenarius dans l’Immortalité du même Kundera « la valeur d’un hasard est proportionnelle à son degré d’improbabilité ». Et donc les plus beaux hasards sont les évènements littéralement invraisemblables.

Comment interpréter le fait que les bulgares le 17 novembre 1993, en trois passes en l’air sans contrôle, à la dernière minute, partant de leur surface, se retrouvent dans la notre, et que Kostadinov réussisse, ce jour là, le but de sa vie ? Totalement improbable, presque impossible, donc beau, sublime, et terrible à la fois. Et qui exige une interprétation. La génération Cantona-Papin n’était pas destinée à aller en Amérique. Dans le match précédent, alors qu’un nul suffisait pour traverser l’Atlantique, Paris avait été inondé avant le match, rendant la pelouse fusante, rapide, et presque injouable. A la 92ème minute, les israéliens marquaient le but de la victoire (3-2) d’une demi-volée improbable, invraisemblable, un but de type jeu vidéo, sans lequel la France se serait qualifiée, avant même la Bulgarie.

(Troisième but israélien à 5mns45)

Coïncidence ? Non. Destin. Les Dieux du football avaient décidé que la France n’irait pas en Amérique, ils ont guidé à travers l’air les ballons israélien et bulgare.

Interpréter les coïncidences ? Si Gérard Janvion avait déchiffré le hasard, il aurait refusé de jouer à Séville le 8 juillet 1982. On annonçait que l’arbitre serait M. Corver, le même arbitre que le 12 mai 1976, ce jour funeste où les poteaux carrés de Glasgow ont refusé aux verts ce qui leur revenait de droit, la coupe d’Europe. Comme M. Corver, Gérard Janvion était présent lors des deux matchs les plus importants de l’histoire de France. Deux défaites sublimes non méritées dues à des ricanements du destin, arbitrées à six ans d’intervalle par le même homme ? Trop beau pour être complètement du hasard. C’est un motif musical, comme l’explique Milan Kundera.

« [Les vies humaines] sont composées comme une partition musicale. L’homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l’événement fortuit […] en un motif qui va ensuite s’inscrire dans la partition de sa vie. Il y reviendra, le répétera, le modifiera, le développera comme fait le compositeur avec le thème de sa sonate.  »
(Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être)

Deux demi-finales contre l’Allemagne en 1982 et 1986, deux défaites. Voilà un thème musical. En 1998, l’Allemagne, à nouveau, est promise à la France en demi-finale. Le thème, funeste, va se répéter. La France va perdre, c’est écrit sur la partition. Mais soudain le grand compositeur innove, un arbitre, instrument du destin, expulse le rugueux défenseur allemand du PSG, Christian Wörms, sur un tacle qui, à l’accoutumée, laissait les arbitres de marbre quand il était allemand, et voilà l’Allemagne réduite à 10, éliminée 3-0 par la Croatie. La France ne croisera pas les allemands, comme d’habitude, en demi-finale, mais les croates. Le tacle de Wörms a eu l’effet du battement des ailes d’un papillon.

Coïncidence ? Non, destin de la France, et destin de Lilian Thuram, le 4 juillet 1998, en demi-finale contre la Croatie. Le thème funeste de la France battue par l’Allemagne en demi-finale est remplacé par celui de la France sauvée par Thuram en demi-finale (en 1998 et en 2006 contre le Portugal où Thuram fut un roc, une muraille, face à l’armada portugaise).

Thuram sauveur en demi finale (face à Ronaldo, contre le Portugal en 2006)

Mais le plus important, je l’ai laissé pour la fin : je crois aussi, bien entendu, au mauvais œil. Je pense même que le mauvais œil explique la plupart des évènements historiques humains, nos vies, nos amours, et bien entendu le football. Je développerai ce thème dans un autre billet.

5 commentaires

  1. Contrairement à ce que j’écris ci-dessus, comme me le fait remarquer MAL, en octobre 1993, un match nul contre Israël ne nous suffisait pas, il fallait une victoire pour une qualification certaine. Car si la Bulgarie battait l’Autriche (ce qu’elle fit), puis la France, elle terminait avec 14 points, nous aussi, et nous étions battus au goal average. Mais avant le match nous pensions qu’un match nul suffirait sans doute, puisqu’il suffisait que l’Autriche prenne un point, ce qui paraissait probable. Nous avons donc tous retenu qu’un match nul suffisait, et c’est bien plus joli. Cela donne plus de beauté au troisième but israélien. Nous l’avons souvent dit, les faits n’ont aucune importance. Ce qui compte c’est la mémoire, mémoire toujours fausse et maquillée, la poésie des coïncidences, et la force des idées qui ne doivent pas s’encombrer de choses aussi vulgaires que les « faits » ou la « réalité ». Il parait que la presse développe un nouveau métier « le fact checking ». C’est extrêmement triste. On doit pouvoir raconter des histoires sans respecter les faits, sinon rien n’a de sens, et tout est triste.

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  2. C’est bien beau, mais pas au prix de l’inexactitude historique: si le néerlandais M.CORVER a bien (à vrai dire d’ailleurs plutôt mal) arbitré le fameux France-Allemagne de Séville de 1982, en revanche ce n’est absolument pas lui qui était aux commandes lors de la finale de Coupe d’Europe St Etienne-Bayern de 1976 disputée à Glasgow: l’arbitre était de nationalité hongroise et se nommait M.PALOTAI. Un peu de rigueur, que diable !

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    1. M. Claron, bravo, vous avez raison. Mais M. Corver a bien arbitré un Bayern Munich – Saint Etienne très important, en 1975 : le match retour de la demi finale de la coupe des champions perdu 2-0 par Saint-Etienne. Un match décisif pour le club. La coïncidence est donc quand même belle, mais elle aurait été plus belle si M. Corver avait effectivement arbitré la finale de 1976. Au plaisir de vous lire.

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      1. @Benlosam : ah, vous vouliez donc parler d’un autre match entre St Etienne et le Bayern ? Mais à celui-là, c’est Janvion qui était absent. Décidément, vous n’avez pas de chance… Bonne nuit , il est tard.

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