Pour l’abolition de l’épreuve des tirs au but

Panthéon-Foot s’oppose avec virulence à l’école Déterministe qui professe qu’en football c’est toujours le meilleur qui gagne. Mais les rôles s’inversent lorsque vient le moment des tirs au but et que l’arbitre tire au sort celle des deux équipes qui va tirer la première.

Pour nous, le doute disparaît alors, et l’Axiome de Fitoussi nous dit que l’équipe ainsi désignée a de très grandes chances de l’emporter. A l’opposé, le commentateur, suppôt de l’école Déterministe, s’enthousiasme pour le côté prétendument incertain de cette « véritable loterie ». Malgré l’évidence il magnifie avec ferveur ce « grand moment de suspens », afin de regonfler l’ardeur des téléspectateurs, parfois émoussée après les prolongations. Ce non-Déterminisme de circonstance participe en fait de la même démarche que le Déterminisme habituel. Il s’agit simplement de nier l’importance du tirage au sort. Le Déterministe ne peut pas accepter que ce pile-ou-face parfaitement aléatoire décide du match, et c’est pourquoi les autorités du football et la presse aux ordres nient la réalité affirmée par l’Axiome de Fitoussi. D’ailleurs a-t-on jamais entendu Michel Platini ou Sepp Blatter mentionner cet Axiome ? A-t-il été cité ne serait-ce qu’une fois dans les colonnes de l’Equipe ou de France Football ? Tout cela se passe de commentaires.

 

De quoi parlent Blatter et Platini ? Surement pas de l’Axiome de Fitoussi. Sinon ils rigoleraient moins.

Les chiffres sont pourtant éloquents.

Considérons simplement la Coupe du Monde, depuis 1998 (inclus). Pourquoi commencer notre étude à 1998 ? Simplement par chauvinisme. Et aussi parce que l’Axiome de Fitoussi prétend rendre compte de la réalité du football aujourd’hui, et non pas de ce qu’il était à une l’époque du noir et blanc et des goals à caquette. Depuis 1998 donc 11 matchs de Coupe du Monde se sont décidés aux tirs au but. Sur ces 11 matchs, un seul contredit l’Axiome : le peu mémorable huitième de finale Irlande-Espagne du 16/06/2002, qui a vu l’Espagne l’emporter alors qu’elle tirait en deuxième. Dans tous les autres cas l’équipe qui tirait en premier l’a emporté. Oserai-je donner le pourcentage que cela représente ? 91% ! Plus de 9 chances sur 10 ! C’est simplement colossal.

Des statisticiens chagrins pourraient venir objecter qu’on ne peut pas tirer de conclusion à partir d’un échantillon si limité, et qu’il faudrait étendre le champ de l’étude. On peut étendre à d’autres compétitions, et en faisant toujours commencer l’étude en 1998, la répartition s’établit autour de 75% – 25%  en faveur de l’Axiome de Fitoussi. 3 chances sur 4, cela reste énorme.

A la recherche d’une solution à ce problème de biais, nous avons donné la parole sur ce blog à André Glucksmann, qui s’est prononcé avec brio pour l’introduction du tie break dans les séances de tirs au but. Solution élégante mais qui risque toutefois de compliquer un peu le suivi de la séance. Il faudrait en effet faire tirer une équipe, puis l’autre deux fois, la première de nouveau deux fois, etc. la série de 5 tirs s’arrêtant avec un seul tireur de la deuxième équipe[1]. Tout le monde n’aurait pas une parfaite compréhension du déroulement des événements, et des conséquences de chaque tir au but avec cette nouvelle procédure beaucoup plus compliquée que l’actuelle. Or celle-ci trouble déjà parfois les meilleurs. On se souvient par exemple que Barthez n’avait pas vraiment bien suivi la série de tirs au but victorieuse contre l’Italie en 1998 (quart de finale). Il n’a pas compris tout de suite que le tir raté de Di Biagio nous donnait la victoire, et les images le montrent clairement rester calme quelques secondes avant de s’enflammer avec le Stade de France.

Barthez fait le guignol. Il n’a pas encore compris que le Stade de France venait de s’enflammer pour la qualification, et non pas pour ses cuisses.

Ce genre d’incompréhension serait plus fréquent avec le tie break, et on pourrait voir un tireur (ou un gardien) sauter de joie et courir vers ses coéquipiers, qui lui feraient alors comprendre un peu gênés que sa réaction est prématurée. Moments amusants certes, mais cruels.

Et que l’on ne compte pas sur les commentateurs pour nous éclairer dans ces instants délicats. Sous le coup de la fatigue et du stress, ils ne feraient pas mieux que Robert Chapatte et Patrick Chêne lors de la dernière étape, contre la montre, du Tour de France1989. Je les entends encore considérer le chrono de Laurent Fignon au bas des Champs-Elysées, et en tirer des conclusions rassurantes, alors que la défaite contre LeMond était déjà consommée.

On aurait aimé que Laurent Fignon et Greg LeMond restent dans cet ordre jusqu’au bout (Tour de France 1989)

Pareillement, Alain Prost figure parmi les commentateurs qui n’ont pas compris à l’arrivée du Grand Prix de Hongrie d’août 1992 que Nigel Mansell avait gagné le titre de Champion du Monde. Ils sont même restés incrédules devant l’incruste, pourtant opportune, proposée par la réalisation.

Nigel Mansell sur le podium du Grand Prix de Hongrie en 1992, à côté du grand pilote Ayrton Senna, et du pilote grand Gerhard Berger

Dans les deux cas, de vrais spécialistes ont été mis en échec par des calculs simples. Qu’en serait-il de joueurs parfois frustes, face à un processus qui donne alternativement un tir de plus à chacune des deux équipes ? J’ai peur qu’André Glucksmann ait surestimé les capacités de certains joueurs, de quelques arbitres et de la plupart des journalistes. Il en est parfois ainsi quand un intellectuel de sa dimension propose des solutions à une autre catégorie de personnes.

Donc je le dis ici, je ne crois pas que le tie-break soit la bonne solution. Mais que faire alors ?

Il y a quelques années, on départageait à pile ou face les équipes à égalité (un peu comme maintenant donc, mais sans le simulacre des tirs au but). Inutile de l’envisager, les Déterministes ne pourront pas accepter une main mise trop visible de l’aléa sur le résultat du match.

Autre solution : donner la victoire en fonction du nombre de cartons jaunes, ou du nombre de fautes. Les bien-pensants seraient satisfaits de voir la victoire aller à l’équipe la plus vertueuse. Nous ne pouvons évidemment pas y être favorables : cela décuplerait l’importance de l’arbitre. Et une équipe qui aurait survécu jusqu’au bout des prolongations à une accumulation de décisions injustes se verrait alors rattrapée par l’injustice.

Une solution plus efficace se trouve dans la réduction des effectifs. A partir de la fin du temps réglementaire, on retire un joueur par équipe toutes les 5 minutes (avec but en or). Au-delà des toutes premières sorties, on peut espérer que les suivantes sèmeront une confusion de bon aloi dans les équipes. Les systèmes tactiques en pâtiront, à commencer par l’organisation défensive, et une plus grande place sera laissée aux initiatives, à l’improvisation. Au fur et à mesure du dépouillement des équipes des espaces se créeront, le marquage se relâchera, de nouvelles situations de jeu apparaîtront et sans doute des possibilités de buts. Poussé jusqu’à sa limite, cet exercice verra les deux gardiens, logiquement conservés jusqu’au bout, s’affronter seuls, en une nouvelle version du combat des Horace et des Curiace. Le jeu gagnera en intérêt et en diversité, et les prolongations deviendront la partie la plus spectaculaire du match.

Une autre manière de désorganiser convenablement les équipes serait de faire rentrer d’un seul coup un grand nombre de remplaçants. Les équipes seraient presque entièrement remaniées, et avec un peu de chance les nouveaux entrants ne correspondraient pas tout à fait aux postes à pourvoir, un défenseur étant appelé à jouer en attaque ou l’inverse. Cela favoriserait les erreurs tactiques ou techniques, et donc les situations dangereuses. Et la phrase suivant laquelle « une compétition se joue à 23 » deviendrait enfin une vérité, et non plus cette incantation destinée à flatter et consoler les remplaçants.

Mais c’est une autre option qui a notre préférence. Remplacer l’épreuve des tirs au but par une autre épreuve plus spectaculaire et moins aléatoire : celle des jongles. Chaque joueur des deux équipes devrait réaliser le maximum de jongles d’affilée, dans un temps limité. Que le sort du match se juge ainsi sur une performance un peu annexe au football peut étonner, mais d’autres sports nous ont montré la voie, comme la Formule 1. Pendant des années, le sort des Grands Prix s’est joué sur la vitesse des changements de pneus. Des équipes de mécaniciens surentrainés avaient ainsi développé des outils et un savoir faire leur permettant de changer un train de pneus en moins de 5 secondes.

Pendant des années le Championnat du Monde de Changement de Pneus par Equipe s’est déroulé sous le titre plus accrocheur de Championnat du Monde de Formule 1

Deux secondes en plus ou en moins faisaient la différence, et nul ne s’est jamais offusqué que les meilleurs pilotes soient départagés par la performance de leur équipe dans cet étrange exercice. Alors à la fin, pourquoi pas la jongle.

Panthéon-Foot milite donc pour que soit enfin introduite dans les règles du football cette nouvelle loi. A laquelle il ne reste plus qu’à trouver un nom approprié.


[1] Notons qu’il faudrait un nombre pair de tirs pour que les deux équipes aient à autant de reprises compté un tir de plus.

10 commentaires

  1. Il y a une possibilité très simple. Sortir les gardiens et laisser 15 minutes de jeu.
    Si il y a toujours égalité, but en or sur les 15 minutes suivantes, avec seulement 7 joueurs par équipe.
    Difficile de ne pas marquer une pléiade de buts dans ces conditions.

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  2. Et pourquoi ne pas remplacer les équipes officielles par une équipe de supporters tirés au sort dans le public ?
    Il me semble qu’un tel dispositif n’aurait que des avantages :
    – la meilleure équipe serait finalement celle qui a les meilleurs supporters,
    – en échangeant leurs places, joueurs officiels comme supporters pourraient en tirer une leçon d’humilité mutuellement profitable. En effet, on peut parier que certains joueurs (réciproquement supporters) se révélerons bien meilleurs supporters (réciproquement joueurs) que joueurs (réciproquement supporters), et vice versa, cela s’entend.
    – on peut même se prendre à rêver que Benlosam pourrait être tiré au sort pour la finale de la coupe du monde 2014 et marquer le but victorieux des bleus. Un peu comme si Ribery, devenu supporter, entrait au Panthéon du Foot pour nous divertir avec sa plume.
    Le rêve non?
    Merci a MAL et BENLOSAM pour leur contribution, ils méritent tous deux une carte PANINI à leur effigie!

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    1. Merci Pascal pour cette proposition très innovante, et si pertinente.
      Ce serait l’application au football du fameux joker « Avis du public », qui a déjà fait ses preuves.
      Et que cela donne une chance à Benlosam de marquer le but victorieux en finale de Coupe du Monde 2014 suffit à en faire notre solution préférée.

      Merci encore et à bientôt de vous lire.

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    2. M. Pascal, vous méritez le prix Nobel 2012 de football. Cette idée est géniale. On tirerait au sort 11 supporters électroniquement avec les numéros de billets dès la fin du match. On les équiperait pendant les prolongations officielles, pour un match de 15 minutes supplémentaire en cas d’égalité à la fin des prolongations officielles. Cela ajouterait une énorme tension en fin de prolongations, et donnerait un spectacle incroyable. En plus, l’équipe qui sait que ses supporters sont des billes absolues serait obligée de prendre tous les risques. Les fans bons au foot seraient plus motivés pour aller regarder les matchs. Quant à moi, vous êtes gentils, mais la dernière fois que j’ai joué au foot, j’ai perdu 10-0, donc il est peut-être préférable que je ne sois pas tiré au sort. Nous transmettons votre proposition à Michel Platini. A vous lire sur Panthéon Foot.

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  3. À noter qu’une des rares fois où l’Axiome de Fitoussi a été mis à mal est la demie perdue par France ’82 contre la RFA. Giresse avait ouvert la voie et Bossis nous envoyait en Petite Finale. Peut-être la vraie raison pour laquelle MAL a voulu commencer son étude statistique aussi tard qu’en 1998…

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    1. Bien vu Matt.

      Oui, j’avoue, je n’ai pas voulu comptabiliser le scandale absolu de 1982 dans ces statistiques. Cette série de tirs au but n’aurait jamais dû exister, il est donc impossible de l’intégrer dans nos réflexions. Ce match est un moment noir de l’Histoire de l’humanité, il ne peut pas être additionné à d’ordinaires matchs de football dans une quelconque base de données.

      Merci pour ce commentaire.

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  4. Comparer Benlosam et Ribery dans leur discipline respective est une insulte au bon sens. Comme je l’écrivais dans un précédent commentaire, Benlosam (et MAL) sont les 2 derniers génies au foot français. Donc du niveau de Zidane ou Platini au moins.Qu’ils ne prennent surtout pas leur retraite. On voit où cela a conduit l’Equipe de France.

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    1. Nous sommes très touchés d’un tel compliment venant d’un tel joueur.
      Voilà qui nous encourage à continuer. Après une trêve estivale bien méritée toutefois.
      Merci de votre commentaire et de votre soutien.

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  5. Une solution pour booster les prolongations et obliger à aller chercher le jeu pour au moins l’une des équipes pourrait être ce qui existait aussi avant.

    Par exemple faire la moyenne de l’âge des joueurs, la plus jeune équipe (ou la plus vieille, au choix de la compétition) l’emportant.
    Ou alors un nombre de coups de pieds de coin (aka corners) sur un match…

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    1. Cher Stfunx,

      merci pour votre commentaire et vos propositions.

      Le nombre de corners a effectivement été en vigueur, et reconnaissons que ce n’est pas absurde. Il peut en effet témoigner d’une forme de domination, cela correspondrait donc plus ou moins à une sorte de « victoire aux points ».

      Une autre méthode consisterait à effectuer l’épreuve des tirs au but avant les prolongations. On ne gommerait pas l’injustice liée au pile ou face, mais au moins pendant les prolongations les deux équipes sauraient à quoi s’en tenir, le match nul correspondant en fait à la victoire de celle qui aurait remporté les tirs au but. L’attentisme ne serait donc plus de mise.

      Cette petite modification dans le déroulement du match serait sans doute moins traumatisante pour les autorités que les autres solutions, plus hardies, que nous proposons.

      Merci de votre visite de votre participation.

      MAL

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