Arsène Wenger va débuter sa 21ème saison à la tête des Gunners.
Le Mercato bat son plein, mais, jusqu’à présent, aucun grand joueur n’a accepté d’aller à Arsenal. Le même schéma se répète, saison après saison, à tel point que, près du stade, des supporters ont ajouté les mots « Don’t worry, we won’t buy anybody » (Ne vous inquiétez pas, nous n’achèterons personne) sous le slogan des Gunners « You can’t buy fame » (« Vous ne pouvez acheter la renommée »).
Un doute s’installe : Wenger serait-il immature ?
Pour répondre à cette question fondamentale, essayons d’abord de définir la maturité. Ce n’est pas si simple.
Bertrand Fitoussi, dans « Crise et Châtiment », donne la définition suivante :
« La maturité c’est accepter son immaturité. »

Selon cette thèse, puisque rien ne se produit jamais exactement à l’identique, l’homme est éternellement immature face à l’inattendu qui survient. Seul l’homme mûr a conscience d’être immature. La seule différence entre le mûr et l’immature serait donc la connaissance de soi et de ses limites.
En pratique, nous reconnaissons intuitivement les gens plus mûrs que les autres. Même certains enfants nous apparaissent « mûrs », alors que leur expérience est par nature limitée. Des vieillards nous effraient au contraire par leur terrifiante immaturité (par exemple la lecture de « Indignez-vous » de Stéphane Hessel, 93 ans au moment du livre, est une démonstration d’immaturité intégrale).
Tentons cette autre définition de la maturité : l’homme mûr est celui qui a l’expérience de l’expérience, celui qui a compris que l’on doit apprendre au cours de sa vie, que l’on doit progresser. A l’opposé, l’immature voyage sans bagages, il se déleste de ses expériences à chaque étape, il n’aura jamais l’expérience de l’expérience.
L’homme mûr est celui qui, ayant déjà fait deux fois la même erreur, ne la refait pas une troisième fois.
Seulement voilà, puisque « Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation » (Kundera, « L’Insoutenable Légèreté de l’être »), l’expérience de l’expérience est sans doute très rare. Nous avons peu d’occasions de commettre trois fois exactement la même erreur. Les immatures, comme ceux qui auraient pu ne plus l’être, finissent tous ensemble sous la terre, sans jamais avoir pu tester deux fois la même situation existentielle.
L’utopie de Milan Kundera
Le Maître Milan Kundera nous indique ce qu’il faudrait en réalité mettre en œuvre dans ce passage de « L’Insoutenable Légèreté de l’être » :
« Supposons qu’il y ait dans l’univers une planète où l’on viendrait au monde une deuxième fois. En même temps, on se souviendrait parfaitement de la vie passée sur la Terre, de toute l’expérience acquise ici-bas.
Et il existe peut-être une autre planète où chacun verrait le jour une troisième fois avec l’expérience de deux vies déjà vécues.
Et peut-être y a-t-il encore d’autres et d’autres planètes où l’espèce humaine va renaître en s’élevant chaque fois d’un degré (d’une vie) sur l’échelle de la maturité.
(…)
Nous autres, sur Terre (sur la planète numéro 1, la planète de l’inexpérience), nous ne pouvons évidemment nous faire qu’une idée très vague de ce qu’il adviendrait de l’homme sur les autres planètes. Serait-il plus sage ? La maturité est-elle seulement à sa portée ? Peut-il y accéder par la répétition ?
Ce n’est que dans la perspective de cette utopie que les notions de pessimisme et d’optimisme ont un sens : l’optimiste, c’est celui qui se figure que l’histoire humaine sera moins sanglante sur la planète numéro cinq. Le pessimiste, c’est celui qui ne le croit pas. »
Kundera l’a imaginée, les anglais l’ont réalisée
Or il se trouve que l’utopie imaginée par Kundera existe dans le football : chaque planète est une saison d’Arsène Wenger à la tête d’Arsenal. En août 2016, la vie sur la 21ème planète va commencer.
Chaque année, l’optimiste imagine que, grâce à l’expérience accumulée sur les planètes précédentes, Wenger va enfin gagner le championnat d’Angleterre, ou au moins dépasser les huitièmes de la Champion’s League. L’optimiste, pour reprendre la définition de Kundera, est celui qui croit que l’expérience de Wenger est utile. Le pessimiste, au contraire, croit à un éternel recommencement des erreurs. Il sait qu’Arsenal terminera au mieux deuxième, et plus certainement quatrième.
L’optimiste imagine que Wenger va enfin acheter les bons joueurs. Le pessimiste constate que Vardy a refusé de venir, que Kanté est à Chelsea et Pogba à Manchester United.
Pour l’histoire humaine, on ne peut pas savoir, on ne saura jamais. L’utopie de Milan Kundera est irréalisable. L’optimiste a-t-il raison d’imaginer que l’expérience accumulée, que la maturité acquise, améliorerait le monde ? Incertitude de la condition humaine.
Pour Wenger et Arsenal, en revanche, l’expérience a lieu sous nos yeux, et elle a tendance à valider la thèse du pessimiste. Celui-ci peint Arsène Wenger en immature qui recommence, trois fois et plus, les mêmes erreurs sur toutes les planètes, jusqu’à la fin des temps.
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