Les bleus ont trahi une tradition française de défaites magnifiques en refusant de perdre hier à Madrid

 

Après avoir revu le match ce matin à tête reposée, la lucidité nous oblige à le dire : les bleus nous ont trahis.

On raconte parfois que la jeune génération bleue ne connait pas l’histoire de France et passe son temps à envoyer des sms, un casque sur la tête. Malheureusement, en égalisant après la fin du temps réglementaire hier soir à Madrid, ils ont donné un certain crédit à cette thèse.

Car en revoyant l’égalisation de Giroud, on se sent un peu bulgare (Kostadinov), ou allemand (Rummenigue), mais très peu français.

Bien sur, il y a aussi l’égalisation de Wiltord, dans le temps additionnel de la finale de l’Euro 2000. Mais, justement, chacun le sait, l’équipe de France 1998-2000 ne s’inscrivait pas non plus dans une tradition française de la défaite magnifique. Deschamps, déjà lui, avait un moral et des méthodes d’allemand. « On ne lâche rien » est un slogan allemand, pas français. L’équipe de France 2000, une équipe de « winners », n’est qu’une parenthèse allemande, heureusement vite refermée, dans notre sublime tradition footballistique.

Les bleus nous ont trahis. Une défaite 1-0, avec un tel scénario, un but valable refusé, un pénalty arrêté, une domination en seconde mi-temps et des occasions manquées, se serait inscrite dans ce que l’histoire de France a de plus noble et plus spécifique : la défaite à la française. On en aurait parlé pendant des décennies. Alors que cette égalisation, certes, nous fait plaisir, sur le moment, mais ne nous donne pas, à long terme, la satisfaction d’une défaite magnifique et injuste.

Les bleus n’ont pas réfléchi à long terme, ils ont manqué de perspective historique dans leur gestion de la fin de match. C’est bien dommage. Regrets éternels.

Car si la France a inventé l’amour courtois, elle est aussi dépositaire d’un art de la défaite.

La défaite, une grande tradition française

Les défaites de légende, plus belles que des victoires

La France se spécialise dans les défaites injustes, sur le fil. Elle mérite de gagner et montre, malgré la défaite qu’elle plus de talent que le vainqueur. Une défaite sublime et injuste 1-0 à Madrid aurait perpétué cette belle tradition.

Le modèle est bien entendu à l’emblématique défaite de Séville en 1982.

Mais à Azincourt (Euro 1415), que faisait l’arbitre ? Les anglais n’ont respecté aucune règle élémentaire du fair-play (appelé chevalerie à l’époque), et ils n’ont même pas été sanctionnés !

La finale perdue en 2006, sur le fil, ou encore le but de Kostadinov en 1993 qui prive la France de la coupe du monde aux Etats-Unis, deux défaites qui nous déchirent le cœur pour des siècles, et qui entrent dans la légende.

Et Dien Bien Phu (coupe du monde 1954) ? A l’extérieur et dans un environnement hostile, les bleus se sont battus comme des héros.

Quant à Waterloo (Euro 1815), les français méritaient vraiment de gagner, face à une sélection du reste de l’Europe. Jusqu’au bout on a pensé que Grouchy pourrait apporter la victoire par un débordement sur l’aile, mais finalement, quelle tristesse, Blücher avait bien bloqué son couloir.

Les défaites tellement ridicules qu’elles en deviennent belles

France-Mexique (coupe du monde 2010). Rappelons-nous : des français perdus sur le terrain, jouant tous à gauche, incapables de défendre ou d’attaquer, puis faisant grève dans un bus. France-Hollande (Euro 2008), pour l’ampleur du score, est un bon candidat également.

Mais le modèle, c’est d’abord l’Euro 1940 et la défaite face aux allemands. Une défaite écrasante, nette et sans bavure. Les français tous au centre et à droite, qui laissent un boulevard aux allemands sur l’aile gauche. Et des chiffres vraiment ridicules, une seule contre-attaque de chars (De Gaulle), aucun tir cadré.

Hier les bleus de Deschamps étaient bien trop organisés et combatifs pour espérer une défaite totalement ridicule. Ils devaient donc viser une défaite de légende, ce qu’ils ont fait avec talent, jusqu’à ce but de la 94ème minute qui change tout, malheureusement.

Nous sommes un pays d’esthètes et de losers

Waterloo, Trafalgar, Séville, mornes plaines, mais quel brio, quel beau jeu.

Nos plus grands succès technologiques sont des échecs commerciaux, comme le Concorde ou le Minitel, et nous en sommes fiers.

Nos plus grands héros sont de grands losers, Napoléon, Poulidour, Fignon.

Fignon a gagné deux tours dites-vous ? Et bien nous avons oublié. Nous ne retiendrons que sa deuxième place pour 8 secondes en 1989, et nous l’aimerons éternellement pour cela.

Le 12 juillet 1998, dans l’euphorie de la victoire, nous avons tous pensé : « cette victoire efface Séville !»

Quelques années ont passé, et nous réalisons qu’en fait, c’est l’inverse : c’est Séville qui efface le souvenir de la finale gagnée en 1998.

Avec le temps le souvenir de Séville est le plus fort, pour ceux qui l’ont vécu, disons tous ceux qui sont nés avant 1968. Séville correspond plus à notre moi collectif profond : une nation de perdants, d’accord, mais quel panache !

Est-ce grave ?

Non, au contraire. Finalement l’important ce n’est pas de gagner.

« Seule la victoire compte », encore un lieu commun complètement faux.

Un vaincu magnifique surpasse un winner.

Le style, la manière, atteignent plus l’immortalité, la vraie, qu’une ligne sur un palmarès.

Vive les perdants magnifiques !

Et tant pis pour les gagnants.

11 commentaires

  1. Excellent article.

    Et Roncevaux alors ? Match du 15/08/778
    Héroîque Roland, mais pas de bol à la fin comme d’hab. !
    A noter qu’il était à la tête de l’arrière garde…
    Déjà là, ça fait bizarre :o)

    Je m’en vais donc perdre du temps à perdre ma vie et gagner en lucidité sur ma condition de français looser de base 😉

    Merci sincèrement pour cet éclairage un peu trop éblouissant.

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  2. Enfin un blog qui sort un peu des sentiers battus sur le sport. Merci à vous! Continuez ainsi. Pour ce qui est de la France, pourvu que ça s’arrête cette « organisation » et cette « combativité ». On ne saura qu’en faire.

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  3. Je n’ai aucun doute sur la suite, l’Espagne passe la main, depuis un moment elle cherche un successeur, Cette de France peut jouer un rôle, tu peux faire confiance ! Je prends le pari.

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  4. Le match nul de la Pologne face a l’angleterre est une trahison du meme ordre.

    Bravo pour cette brillante analsyse qui va bien au dela du sport et touche a la nature meme du peuple Francais, a sa grandeur a son esprit. Tres proche au fond de l’esprit Polonais.

    Merci

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  5. Analyse très pertinente !!!
    J’en remets une couche : la Légion étrangère n’est étrangère que de nom, elle est bien française, connue dans le monde entier, comme la première équipe bleu-blanc-beur.
    Elle célèbre tous les ans sa fête autour de la main de bois du capitaine Danjou. En effet, ce Danjou était le capitaine de l’équipe de France, qui s’est fait glorieusement écharper à Camerone par une armée de Mexicains, bien plus nombreux sur le terrain. Il avait une main de bois, ce qui ne l’a pas gêné pour le jeu au pied (et pour se faire glorieusement tuer).
    Marrant que la troupe d’élite de l’armée française glorifie ainsi une défaite !

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