Pourquoi le Ballon d’Or est-il réservé aux attaquants ?

La désignation du Ballon d’Or, fêtée comme un véritable événement sportif, relève d’une injustice grave.

Benlosam regrettait, dans un billet récent, que le lauréat soit une fois de plus un mâle hétéro et blanc. Il s’agissait en fait d’une plaisanterie, certains lecteurs  l’ont remarqué et bravo à eux. C’est un scandale beaucoup plus sérieux que nous dénonçons ici, celui de la répartition des lauréats en fonction de leur poste sur le terrain.

Le Ballon d’Or est attribué depuis 1956. Sur les 58 lauréats, on compte 35 attaquants, 18 milieux, 4 défenseurs et 1 gardien de but. Au moment où la parité est élevée au rang d’enjeu national, nous avons là un déséquilibre criant, scandaleux, et finalement absurde. En considérant qu’une équipe compte usuellement 1 gardien de but, 4 défenseurs, 3 ou 4 milieux, et 2 ou 3 attaquants, on pourrait s’attendre à trouver dans le palmarès un peu plus de défenseurs que de milieux, et un peu plus de milieux que d’attaquants. Ce que l’on constate est bien loin de cette logique, et en retenant un quota moyen de 2.5 attaquants par équipe, la proportion d’attaquants dans le palmarès est presque 15 fois plus élevée que celle des défenseurs ou des goals (le ratio de 1 goal pour 4 défenseurs étant à l’opposé parfaitement harmonieux).

Disposition schématique de deux équipes de foot sur un terrain. Sur ces 22 joueurs, les 4 qui sont proches du rond central ont 15 fois plus de chances de remporter le Ballon d’Or que ceux qui sont près du but. Pourquoi ?

Les milieux se situent dans la moyenne, mais il faut tout de même noter qu’il s’agit très majoritairement de milieux offensifs. Platini (3 fois), Zidane, Gullit, Rivaldo, Figo ne sont pas à proprement parler des milieux récupérateurs. Inutile de dire que Deschamps, dont on sait la part décisive qu’il a prise dans les succès du foot français entre 1993 et 2000, n’a jamais été pressenti pour même monter sur le podium.

Les 4 Ballons d’Or attribués à des défenseurs l’ont été à Beckenbauer (2 fois), Matthias Sammer et Fabio Cannavaro (scandale absolu de l’édition 2006 sur lequel nous ne nous étendrons pas). Aucun autre défenseur n’a été retenu. Quant au seul gardien de but distingué, il s’agit de l’immense Lev Yachine. Quand on sait à quel point un gardien peut être décisif, c’est évidemment une injustice lourde. Ni Bats, ni Barthez, ni Sepp Maïer, ni Dino Zoff n’ont été élus.

Lev Yachine, le seul goal à avoir reçu un Ballon d’Or.                 Sur 58 ça fait peu.

On peut avancer une explication à cette absurdité : la crétinerie généralisée.

Dit autrement : les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et ils ne prennent pas la peine de réfléchir. Concrètement les résumés des matchs proposent toujours les buts, parfois un bel arrêt du gardien, mais jamais l’intervention efficace d’un défenseur, sauf si elle est supérieurement spectaculaire. Et au-delà même de ce biais, il est plus facile à un spectateur de retenir le nom du buteur que celui du défenseur qui est intervenu au cours du match.

Mais un élément vient aggraver cette tendance, il tient au mode de vote. Rappelons que les votants sont le capitaine et le sélectionneur de l’équipe nationale ainsi qu’un journaliste sportif, pour chacun des 208 pays affiliés à la FIFA. Le nom de certains de ces pays fait rêver (les îles Cook, Curaçao, Sao Tome e Principe …) et nous aurions du mal à les situer sur une carte. En fait un grand nombre nous sont à peu près inconnus car ils se situent loin de la France. Globalement sur ces 208 pays, un quart sont en Europe, un quart en Afrique, un quart en Amérique (l’Amérique du Sud étant 4 fois moins représentée que l’ensemble Amérique Centrale – Amérique du Nord), le dernier quart se répartissant entre Asie et Océanie.

L’équipe de Sao Tome e Principe a un très joli maillot (ici lors d’une victoire 1-0 contre le Lésotho).

Est-il juste que la voix du sélectionneur de Sao Tome e Principe (deux îles du Golfe de Guinée, en face du Cameroun) compte autant que celle de Didier Deschamps ? Question qui donne le vertige. On peut y répondre en affirmant « un homme, une voix », une autre solution étant de pondérer en fonction du nombre de licenciés par exemple. La FIFA a choisi la première option, pas de distinction entre les grands et les petits, et c’est ainsi que l’île de Curaçao (au large du Vénézuela) compte autant que le Brésil.

On pense ce qu’on veut de cette manière de faire, sans doute inspirée à la FIFA par un idéal de parité, mais elle pose un problème concret. On peut en effet s’interroger sur l’accès aux images de football européen dont peuvent bénéficier les ressortissants des îles Cook (en plein Pacifique). Il est probable qu’ils ont plus connaissances des performances des joueurs évoluant en Europe par les résumés ou les extraits des journaux télévisés qu’à travers le visionnage de matchs dans leur intégralité. Je respecte infiniment ces footballeurs des antipodes, mais faut-il leur demander de noter Ribéry et Ronaldo ?

 

Une pièce de 5 dollars des îles Cook, commémorant la Coupe du Monde de Football. La Reine n’a pas l’air d’apprécier.

Ils ont sans doute leur mot à dire sur les performances comparées du Vanuatu et des Samoa Américaines (ça existe), mais pourquoi leur demander d’arbitrer entre un joueur du Bayern et un autre du Réal ? Ce n’est pas respecter leur différence que de les interroger sur un sujet qui les touche de très loin (facilement 15.000 km). Tout au contraire, en faisant cela nous affirmons la prééminence du football européen par rapport à celui de l’Océanie.

Et surtout, la conséquence est qu’une importance démesurée est donnée aux attaquants, dont la réputation fait plus facilement le tour de la planète que celle des travailleurs de l’ombre, les défenseurs et les gardiens de but. En recherchant la parité, en accordant autant de voix à chaque pays, la FIFA a finalement abouti à un résultat grotesque, lourdement déséquilibré en faveur des attaquants. Une fois de plus, la recherche de la justice la plus stricte aboutit à une injustice grave.

Cicéron le savait déjà quand il disait « summum jus, summa injuria », et lui n’a jamais envisagé de faire voter la Barbade pour choisir le Ballon d’Or.

Cicéron rime avec ballon rond.

 

 

14 commentaires

  1. Effectivement ces choix sont réducteurs dans la mesure où le travail (et dons le succès) des attaquants repose sur celui de ses partenaires. L’importance accordée aux attaquants est donc de ce point de vue démesurée mais rien d’étonnant car généralement, à l’issu d’un match, on retient l’auteur d’un but et beaucoup moins le nom du défenseur qui a permis d’éviter d’en prendre.
    Content de voir qu’il y a au moins un gardien de but.

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  2. C’est bien plus facile de briller en driblant des défenseurs, et en marquant des but qui font gagner l’équipe que de briller en défendant, ou en arrêtant des tirs. De tout temps les enfants ont voulu jouer attaquant, et ce dès le plus jeune age.

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  3. J’ai bien aimé votre article, tant sur le fond que sur la forme, mais il me faut tout de même apporter un gros bémol à votre analyse : l’actuel mode de désignation du ballon d’or ne remonte qu’à 2010… Avant ça c’était un panel de journalistes européens qui votait et non pas le sélectionneur et le capitaine de l’île de Curaçao (et leurs homologues respectifs de petits pays exotiques de l’hémisphère sud…). Sur la longue période historique je suis donc obligé de conclure que c’est votre première explication qui est la seule valable pour expliquer le palmarès du ballon d’or : la crétinerie généralisée.

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    1. Cher Alex rive sud, merci de votre commentaire. Votre remarque est effectivement judicieuse, et la crétinerie généralisée est bien la principale explication à ce biais. Le choix paritaire de la FIFA ne fait qu’aggraver les choses de manière très marginale sur les toutes dernières années.

      A bientôt de vous lire de nouveau sur notre blog.

      MAL

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  4. Les joueurs des iles cook sont aussi éligibles pour le Ballon d’or.

    On peut en effet s’interroger sur l’accès aux images de football des îles cook dont peuvent bénéficier les ressortissants européens. Il est probable qu’ils n’ont aucunes connaissances des performances des joueurs évoluant dans le Pacifique. Je respecte infiniment les footballeurs européens, mais faut-il leur demander de noter les joueurs des antipodes?

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    1. Cher Bzc, merci beaucoup pour votre commentaire dont j’apprécie beaucoup l’esprit. Néanmoins il faut bien se rendre à l’évidence : dans les réponses proposées par les quelques 600 votants ne figure qu’un nombre réduit de joueurs des îles Cook. Joseph Mii, capitaine de la sélection, a voté pour Lionel Messi, Cristiano Ronaldo et Gareth Bale. Et le sélectionneur national (Tisam Tuka) a fait de même. Nul joueur des antipodes dans leurs réponses, ni d’ailleurs dans celles d’aucun votant. La symétrie que vous invoquez n’est donc pas tout à fait de mise ici.
      Mais c’est pas grave, on a bien rigolé et c’est le principal.

      En espérant vous lire de nouveau.

      MAL

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  5. En lisant ces pourtant excellentes lignes, je ne peux m’empêcher de voir derrière ce constat que le navrant point de vue d’un goal aigri et d’un défenseur tibiaophobe.

    La réalité est pourtant simple : ce qu’il y a de beau dans le football c’est les buts, or ce sont les attaquants qui marquent. On se doit en toute chose de récompenser la beauté. Il est donc juste que le ballon d’or revienne à un attaquant. Le donner à un autre joueur qu’un numéro 9 c’est renoncer au merveilleux.

    Admirer un tacle c’est admettre que la destruction surpasse la création. Applaudir un arrêt de gardien c’est encourager la nullité (les 0-0). Le but du pointu au milieu d’un ignoble cafouillage brille plus que toutes les envolées de gardien qui finissent invariablement dans la boue.

    Un ballon d’or à un gardien c’est récompenser le cerbère du château d’If d’avoir bien fait son métier et d’avoir empêché toute sa vie le comte de Monte Cristo de s’évader. Et comme disait Astérix « Gloria ad oppugnatoribus et defensores in latrinis » (en gros, gloire aux attaquants, les défenseurs aux chiottes).

    JOC

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  6. « Crétinerie généralisée » c’est facile à dire et dans le cas présent pas forcément juste.

    Boufon en 2006 permet quasiment à lui tout seul de hisser l’Italie jusqu’à la victoire finale et illustre à mon sens le mérite d’un gardien. Néanmoins globalement, j’aurais tendance à dire que le meilleur joueur du monde est forcément un milieux de terrain dans le sens où c’est un rôle central qui demande des qualités particulières. De même, il reste difficile de comparer les efforts ponctuel d’un gardien à celle plus soutenu d’un joueur de terrain ; ou de comparer l’impact d’un défenseur aux stats d’un attaquant…

    Enfin comparer des talents individuels dans un sport collectif reste une bien plus grande ineptie que de récompenser majoritairement les buteurs (notamment quand ils marquent autant que le font Ronaldo ou Messi). Et j’ajouterai que si l’on voulait vraiment le faire il faudrait que les joueurs changent plus régulièrement d’équipes de manière à mieux cerner ce qu’ils amènent au collectifs. Il est ainsi difficile de juger de la valeur réel de Messi qui joue depuis si longtemps avec des joueurs de la trempe de Xavi et Iniesta dans un système de jeu qui lui correspond…

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    1. @Rieuqrapelcram : Cher Rieuqrapelcram, vous posez plusieurs questions pertinentes, et finalement on peut se demander si cela a un sens de se demander même qui est le meilleur joueur du monde, tellement ils font des métiers différents. Un grand penseur a écrit un jour (et je crois que c’était sur ce blog) que comparer Beckenbauer à Cruiff, c’était un peu comme comparer Beethoven à Van Gogh. Difficile de dire lequel est le meilleur.
      Pareil pour l’équipe d’Italie de 2006, que vous prenez en exemple. Quel était le meilleur joueur sur le terrain ? Difficile à dire. Je suis d’accord avec vous, Gianluigi Buffon a été décisif tout au long de la compétition, et en particulier en finale sur la tête de Zidane. Tout le monde l’a en mémoire, sans cet arrêt exceptionnel, monstrueux, inhumain, nous aurions gagné le match, nous aurions deux étoiles sur notre maillot, et Zidane serait le seul homme au monde à avoir marqué deux buts dans deux finales de Coupe du Monde gagnées. Au lieu de cela …
      Pour en revenir à notre sujet, on pourrait évoquer la notion de joueur le plus déterminant, qui se rapproche du Most Valuabla Player de la NBA. Ce qu’a fait Buffon en finale a été décisif, et dépasse de très loin l’apport de n’importe quel autre joueur. Dit autrement, si on échange Buffon et Barthez, à mon avis on inverse le résultat du match. On ne peut dire la même chose d’autant autre joueur de l’équipe d’Italie. Sur ce match, incontestablement Buffon est le MVP.

      Merci encore de vos réflexions et à bientôt de vous lire.

      MAL

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